
Depuis 1952, l’usine Renault de Flins assemble des véhicules neufs. Cette première existence touche à sa fin. Le 25 novembre dernier, le constructeur a annoncé que cette activité cesserait en 2024. Le site des Yvelines deviendra progressivement un centre de reconditionnement automobile. Certes, sans les confinements, le projet serait peut-être resté dans les cartons encore quelques années. Mais il vient matérialiser la fin en France d’une industrie de production. Elle laisse un vide que la jeune industrie du réemploi devra combler.
Dans le secteur des engins de chantier, l’heure n’est pas à la production massive de pelles reconditionnées. La filière du réemploi navigue entre l’artisanat et l’industrie. Il faut dire que la clientèle semble encore partager à l’égard de ces produits. Prenons les pièces détachées reconditionnées, la brique la plus élémentaire de cette pratique. Chez Terre-net, la filiale du groupe Poisson spécialisée dans la location sans chauffeur, ces composants sont d’un usage courant, sauf pour les injecteurs. Leur durée de vie est trop courte. « Une pièce reconditionnée coûte entre 30 et 50 % moins cher », indique Vincent Moulinot, directeur matériels de l’entreprise. Avec toutefois une contrainte : « il y a tout un système de retour aux constructeurs à maîtriser. Nos techniciens le connaissent très bien. »
Peut mieux faire
Avec de tels rabais, les stocks devraient flamber. Pourtant, chez SOMTP, ces éléments ne constituent pas le gros du marché. Concessionnaire de Liebherr dans 21 départements français et en Belgique, la société participe au programme Reman. Elle propose ainsi un large choix de pièces reconditionnée pour toutes les machines du fabricant : démarreurs, pompes hydrauliques, tous les organes de la chaîne cinématique… « Même le moteur complet, mais c’est assez rare, précise Dominique Courrillaud, directeur technique de SOMTP. En général, le moteur reste le même durant toute la durée de vie de la machine neuve, entre 10 000 et 12 000 heures. Nous effectuons ces commandes à la demande de nos clients, avec ou sans l’installation. Le composant coûte environ de 25 % de moins que le neuf, avec les mêmes garanties et les mêmes délais de livraison. » Entre septembre 2019 et fin août 2020, la société a enregistré un chiffre d’affaires de 1,126 million d’euros pour 317 produits reconditionnés vendus. Dans le même temps, le chiffre d’affaires de l’ensemble de son activité de pièces détachées a atteint 15 millions d’euros (l'entreprise distribue également des engins de Wacker Neuson, Bell et Merlo). Ces montants donnent à penser qu’il reste une marge de progression, auprès d’un public qui n’est pas encore consommateur ou qui se fournit ailleurs. Liebherr a revu son programme et ajouté de nouvelles références à son catalogue en janvier dernier, comme des leviers de commande ou des cartes électroniques. « En matière d’articles reconditionnés, s’adresser à son concessionnaire constitue une garantie de qualité, rappelle Dominique Courrillaud. La carte de produits Reman disponible est désormais plus large, ce qui devrait amener plus d’exploitants à utiliser ce service. »
En effet, les constructeurs et les concessionnaires ne sont pas seuls. Un petit réseau d’entreprises œuvre dans le négoce de pièces remises à neuf, à l’image de Codimatra et de A.Duscio en France ou de TVH en Belgique. La société Lorraine Materiels TP (LMTP) s’est lancée dans cette activité depuis deux ans, avec ou sans l’installation. Elle réalise aujourd’hui une cinquantaine de montages par an sur tout type de matériels de plus de 10 t. « Pour les mini-pelles, c’est inutile, observe Damien Santos, gérant de l’entreprise. Le reconditionnement n’est pas encore très connu en France, mais il se développe avec la conjoncture. Une entreprise de TP peut réaliser de grosses économies avec des pièces reconditionnées, pour des résultats équivalents à des pièces neuves. Les prix peuvent être divisés par deux et les garanties aller jusqu’à six mois. En outre, c’est une forme de recyclage. » L’homme est par ailleurs utilisateur de ce type de composants. LMTP opère également dans les travaux publics et la location. Il a pu constater une avancée importante : les spécialistes de l’occasion rivalisent maintenant avec les fabricants en matière de logistique. En urgence, une pièce peut arriver en moins de 24 heures. « Un soir, nous avons cassé le balancier d’une pelle à Luxembourg. Le lendemain, à 14 heures, nous étions prêts à repartir. » Néanmoins, sortir du circuit des concessionnaires requiert quelques efforts : connaître les adresses fiables, dénicher la pièce adéquate, voire chercher un atelier de montage à proximité quand l’entreprise ne possède pas sa propre équipe de mécaniciens. Autre difficulté, l’accès aux systèmes informatiques des machines de moins de cinq ans nécessite des logiciels spécifiques, propriétés des constructeurs. Ces derniers réservent les licences aux concessionnaires et aux clients importants.
Un compacteur à déchets ou rien
Même si le réemploi des pièces manque de popularité, il s’avère déjà enraciné dans les TP. Selon les théories de l’économie circulaire, l’étape suivante consisterait à reconditionner tout l’engin ou une grosse partie de ses organes. L’idée n’a rien de révolutionnaire. La question de la rénovation complète refait surface de temps à autre, quand un fabricant dévoile la résurrection spectaculaire d’un tombereau ou d’une pelle minière. Ces coups de projecteur démontrent que tout est possible. Mais la démarche peine à trouver un modèle économique viable. Depuis le début des années 2000, Terre-net a beaucoup expérimenté dans ce domaine. Aujourd’hui, elle reconditionne seulement deux familles d'engins : les compacteurs à déchets et les tracteurs à chaînes, « C’est une machine chère à l’achat et difficile à vendre en occasion », explique Vincent Moulinot. Le compacteur, par exemple, entre en atelier après 12 000 ou 15 000 heures d’utilisation. Seul demeure le châssis, le reste est contrôlé et changé. Ces travaux nécessitent entre 1 000 et 1 400 heures pour un coût total compris entre 40 et 50 % du prix d’une nouvelle machine. Le ressuscité roulera entre 8 000 et 10 000 heures de plus. « Ils repartent en location à des prix inférieurs au neuf. Nous continuerons tant que nos clients en auront besoin. Toutefois, le manque de techniciens ne favorise pas ces interventions lourdes. »
En 2008, la société avait tenté d’appliquer la méthode aux chargeuses à chaînes CAT 963C. « C’était beaucoup trop cher : 160 000 euros de reconditionnement pour un produit neuf à 200 000 euros. Certains composants ne peuvent pas être restaurés. Et le prix des pièces est beaucoup trop élevé. » Et pour les pelles, la vente d’occasion reste plus simple. Le groupe Poisson possède aussi une filiale au Canada, Marcel Equipment Limited, spécialisée dans l’occasion et le reconditionnement. Une partie de ses machines européennes retrouvent une seconde jeunesse de l’autre côté de l’Atlantique. « Par rapport à l’Europe, les pièces détachées sont beaucoup moins chères au Canada et en Australie, mais les machines neuves sont plus chères. Le reconditionnement est alors plus avantageux qu’en France. »
Trouve-moi une Mecalac
La rénovation lourde relève donc du marché de niche dans l’Hexagone. Malgré tout, une niche peut suffire à de petites structures débrouillardes comme Love TP. Cette entreprise de trois personnes reconditionne du matériel Mecalac, principalement des pelles sur pneus 12MXT, depuis 1989. Romain Bel, qui a racheté la société en 2015, ne songe pas à changer de créneau. « J’ai été chauffeur de Mecalac pendant 15 ans avant le rachat. Je connais donc pas mal les produits. Je préfère être bon dans une marque et que les clients soient satisfaits. » Love TP fonctionne plutôt à la commande qu’au stock. « La demande est assez forte pour les 12MXT. J’en fais rentrer d’avance, mais pour les autres modèles, les clients appellent et je cherche. Le budget est déterminant. En général, je trouve en moins de quinze jours. Ils ont la machine un mois après la commande. Je passe rarement des annonces. » C’est également le budget qui décide des réparations, de la simple vidange jusqu’à la remise à neuf des circuits hydrauliques et électriques. Toutefois, ce modèle se heurte aussi au problème des logiciels. « Avec deux mécaniciens, Je n’ai pas le temps de développer le dépannage, remarque Romain Bel. Nous n’irons pas grignoter les parts de marché des concessionnaires. » Espérons que l’argument réussisse à convaincre le groupe d’Annecy.
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