Fin mars, Entreprise Charier a conclu le gros œuvre de l’extension du port de La Turballe, en Loire-Atlantique. L’entreprise de construction a profité de ce projet pour tester en condition réelle une machine unique : un tracteur muni d’une pile à combustible.

Tracteur e-Néo : l’hydrogène à l’épreuve des TP

Le réservoir rempli, le tracteur et sa remorque s’éloignent sans bruits sur la route. Malgré la charge, le moteur ne grogne pas. L’oreille n’a pas l’habitude. Les tracteurs équipés d’une pile à combustible ne roulent pas dans toutes les villes de France. C’est l’un des premiers modèles à hydrogène, si ce n’est le premier, à arpenter l’Hexagone. En ce jour de mars, sa cabine verte tourne dans les rues de La Turballe, en Loire-Atlantique. Entreprise Charier, exploitant de l’engin, l’a affecté aux transports des déblais depuis le chantier du port jusqu’à l'une de ses carrières. Le groupe de travaux publics n’est pas seulement utilisateur de la machine, il a été l’un des principaux acteurs de sa création.

Devenu une entreprise à mission depuis le 16 juin 2022, Charier est en pleine phase de réflexion quant à ses activités, notamment ses émissions de gaz à effet de serre. Plusieurs actions sont en cours. Ses collaborateurs bénéficient d’un accompagnement s’ils souhaitent conduire une voiture de fonction électrique : installation d’une borne à leur domicile, remboursement des recharges effectuées pour des trajets professionnels et mise à disposition d’un véhicule thermique 25 jours par an. Le département matériel a testé l’huile végétale hydrotraitée (HVO) comme carburant. Il vient de réceptionner un camion 8 × 4 au gaz. Des systèmes Instagrid sont à l’essai. Ce constructeur propose des blocs de batteries pouvant aller jusqu’à 360 kWh capables de remplacer un groupe électrogène. Les centrales d’enrobés sont en train d’être modernisées en vue d’augmenter le taux de recyclage et de développer les techniques à froid.

Découvrir un carburant

Le tracteur à hydrogène apparaît comme la réalisation la plus marquante de ce mouvement. Avant le tournant des années 2020, le groupe souhaite appliquer ses nouveaux principes aux engins de chantier. « Nous avions demandé aux constructeurs leurs projets en R&D. Rien n’était vraiment annoncé pour les matériels lourds », explique Arnault Peugniez, directeur matériel et achats d’Entreprise Charier. Le responsable rencontre alors la société vendéenne e-Néo, spécialisée dans la conversion de véhicules thermiques en électriques. Cette dernière avait dans l’idée de doter un tracteur d’une pile à combustible. « C’était l’occasion pour nous de découvrir la filière hydrogène et de contribuer à sa croissance. »

Car la démarche dépasse rapidement le stade de la simple machine. Sans une source d’hydrogène à proximité du chantier, le tracteur ne risque pas de rouler longtemps. Et si cet hydrogène n’est pas généré à partir d’énergies renouvelables, le carburant perd une bonne part de ses vertus. Pour assurer la fourniture du gaz, deux autres entreprises locales rejoignent l’opération : la société Lhyfe qui produit de l’hydrogène à partir d’éoliennes dans son usine de Bouin en Vendée, et Europe Technologies qui assure le transport du gaz. Le projet démarre en septembre 2020. Il reçoit le soutien de la Région Pays de Loire dans le cadre de l’appel à projets « Ecosystèmes territoriaux hydrogène ». L’appel d’offres pour chantier de La Turballe vient de tomber. Charier ajoute à son dossier la mise en œuvre de cet engin inédit.

Délais de livraison

De là commence une longue phase de montage. Le tracteur est mû par un système de motorisation complexe. Les deux réservoirs prévus pour recevoir de l’hydrogène alimentent une pile à combustible de 30 kW, logée dans un réceptacle fixé à l’avant de l’engin. Elle délivre un courant électrique qui charge une batterie d’une capacité de 48 kWh. Ce dernier alimente un moteur électrique qui procure de l’énergie mécanique de l’engin. Dans l’autre sens, la batterie récupère l’énergie dégagée lors des descentes et des freinages. Les accumulateurs peuvent aussi être rechargés avec une borne électrique. Ce mécanisme de motorisation présente l’avantage de ne rejeter que de l’eau et d’être peu bruyant. Le fait de travailler sur un modèle unique n’a pas facilité la tâche des équipes. Les commandes modestes restent parfois en attente. La livraison des différents éléments de la pile depuis les États-Unis a pris du temps. Certains composants non livrés ont même été fabriqués par Europe Technologies. Le premier jeu de batterie testé n’était pas adapté à des processus de charge et de décharge simultanés. Il a fallu en demander un autre.

L’engin est finalement arrivé à La Turballe en fin d’année dernière. Jusqu’à la fin mars, il a effectué sept à huit rondes quotidiennes de 7,5 km entre le port et la carrière, cinq jours par semaine. Avec la remorque, le poids du tracteur se situe entre 17 et 18 t. Il peut transporter environ 20 t de matériaux. Le parcours accidenté a mis en évidence que la pile à combustible ne fonctionnait pas à la puissance prévue. Pour le ravitaillement, l’agence d’Entreprise Charier de la commune accueillait une station à hydrogène louée à Europe Technologies. Un paramètre imprévu a un peu ralenti le rythme de la machine. Ses deux réservoirs sont conçus pour recevoir une pression de 700 bars, mais le gaz était livré à 350 bars, ce qui réduisait la quantité de carburant transportable. En outre, la pression de l’hydrogène stocké dans la station diminuait au fil du temps. L’autonomie procurée par chaque plein diminuait encore. « La question de la livraison reste difficile, observe le responsable. Installer une station sur un chantier requiert des aménagements spécifiques. La livraison par camion, comme le GNR, serait peut-être une solution. »

Leçon de recherche

Le chantier de La Turballe terminé, le tracteur a fait un crochet le 23 mars aux Shipping Days de La Rochelle, un salon consacré à la logistique maritime. Il a ensuite rejoint le site de Planète Recyclage, une plate-forme de traitement de matériaux appartenant à Charier, implantée également dans la ville côtière. « Cette expérience nous a donné la possibilité de travailler en mode projet. Nous avons découvert et résolu des problèmes tous ensemble, conclut Arnault Peugniez. Notre entreprise continuera à tester de nouveaux systèmes, dès que nous en aurons l’occasion. Nous ne possédons pas encore de chargeuses ou de mini-pelles électriques. Nous essayerons sans doute ces engins prochainement. » Le groupe a d’ailleurs l’intention de proposer autour de son tracteur une offre de chantier « bas carbone ».

fiche technique : tracteur e-Néo

Poids avec remorque : 17 t

Charge utile : 20 t

Puissance PAC : 30 kW

Capacité batterie : 48 kWh

Avantages

Pas d’émissions de CO2

Pas d’émissions de particules

Peu de bruit

Inconvénients

Fonctionnement à optimiser

La logistique du gaz

Un gaz dans le vent

Pour l’heure, l’hydrogène est presque exclusivement généré par électrolyse. Ce procédé requiert de grande quantité d’électricité. Si cette dernière provient d’une source émettant des gaz à effet de serre, l’hydrogène s’avère guère plus avantageux que le gazole pour le climat. La pile à combustible conserve néanmoins l’avantage de n’émettre que de l’eau. L’hydrogène gagne en intérêt quand il est couplé avec des panneaux solaires ou des éoliennes.

La production de ces systèmes ne coïncide pas toujours avec les besoins des usagers. Ces énergies renouvelables sont qualifiés d'intermittentes. Ce caractère aléatoire freine leur déploiement. Les surplus de Watts générés se révèlent un casse-tête pour le gestionnaire de réseau. Ce dernier doit s’assurer de l’équilibre permanent entre la production et le consommation, sous peine de coupures de courant. D’où les recherches actuelles sur les systèmes de stockage. L’une des pistes étudiées consisterait à convertir le trop plein d’électricité en hydrogène, une approche qu’on appelle « power-to-gas ». L’usine Lhyfe de Bouin préfigure quelque peu cette pratique. Elle utilise le courant d’un champ d’éolienne voisin pour fabriquer son hydrogène.

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