En cette nouvelle décennie, le réemploi est en passe de devenir un concept central dans le domaine de la construction. Pour autant, les loueurs de bases vie n'ont pas attendu l'émergence de cette idée dans le débat public pour donner plusieurs vies à leurs bâtiments.

Constructions modulaires : tout se transforme dans le module

Que ce soit sous la pression des agences de notation, des pouvoirs publics ou de la société civile, le secteur de la construction regarde de plus près les conséquences de ses activités sur l’environnement. Pour la plupart des entreprises, ce tournant idéologique constitue une remise en question de nombreuses habitudes, sans pour autant qu’il existe toujours une alternative. En revanche, dans le cas des loueurs de modules, ce changement des mentalités pourrait plutôt sonner comme un encouragement.

Certes, les fournisseurs de bases vie n’ont pas encore réponse à tous nos problèmes de consommation, mais les sociétés de cette filière ont fait du réemploi un pilier de leur commerce. De retour à l’agence, les unités préfabriquées sont réagencés et serviront au montage d’un nouveau bâtiment. Une baraque de chantier peut devenir une salle de classe ou une cuisine. Les fenêtres, les panneaux et les équipements de second œuvre devenus inutiles sont stockés pour être réutilisés lors de commandes ultérieures.

Reconditionnement industriel

Chez les principaux acteurs du marché français, cette pratique prend des allures d’industrie. Le groupe Cougnaud possède par exemple un parc de 65 000 modules, soit 1,1 million de m² de plancher. Chaque année, ses équipes en reconditionnent 450 000 m², soit entre 22 000 et 25 000 modules. « Le reconditionnement est présent depuis le début de notre activité, explique Patrice Cougnaud, directeur général-Location de Cougnaud. Une fois fabriqué, un module doit pouvoir répondre à plusieurs projets. Nous avons la capacité de le réaménager selon la fonction attendue. Notre contrôle de la qualité garantie les mêmes conditions d’usage que les locaux soient neufs ou reconditionnés. » Les sept agences de l’entreprise possèdent des halls de reconditionnement. « Ils disposent de tous les outils en vue de réduire la pénibilité des tâches, notamment des robots industriels et des systèmes de manutention. »

Algeco France applique une méthode similaire dans sa branche location. Parmi ses 1 000 collaborateurs, environ 600 sont des techniciens qui travaillent sur les modules répartis dans 22 sites de préparation. Les structures passent un contrôle technique comportant 96 points de vérification avant de repartir sur le terrain. Selon Alexis Salmon-Legagneur, le directeur général de la société, cette rigueur confère au reconditionné des caractéristiques comparables au neuf : « Quand des clients ont recours à la location, ils ne s’attendent pas à recevoir du neuf. La réutilisation fait partie de notre métier. L’acier galvanisé des armatures est quasi éternel. Nos modules connaissent donc plusieurs vies mais cela n’altère en rien leur qualité ni leur fonctionnalité. Notre taux de NPS (Net promoter score, un indicateur de la satisfaction des clients - N.D.L.R.) est d’ailleurs de 74 %. » Un avis partagé par Patrice Cougnaud : « L’important, c’est la qualité des modules. Il y a quelques exceptions. Pour des chantiers de longue durée, des entreprises privilégient des installations neuves. En revanche, quand les clients prennent en compte le cycle de vie des produits, leur choix se porte plutôt sur des systèmes recyclés. Des donneurs d’ordre souhaitent désormais mettre en avant ce critère. » De transformation en transformation, les deux groupes emmènent donc leurs modules jusqu’au recyclage avec de bons résultats. « En matière de gestion des déchets, nos agences de reconditionnement affichent un taux de recyclage et de réemploi compris entre 75 et 80 % », précise Patrice Cougnaud. De son côté, Algeco indique que ses produits sont recyclables à 96 %.

Spécialiste de la récupération

Toutefois, le reconditionnement ne se réduit plus à une démarche interne. Loxam Module réarrange aussi ses unités. Elle recycle aussi ses structures accidentées ou abîmés lors d’un sinistre. « Nous récupérons alors les éléments qui peuvent nous servir de pièces de rechange. Les métaux sont repris par des ferrailleurs », note Michel Gourmelon, directeur de cette filiale de Loxam. Mais certains modèles jugés obsolètes n'attendent pas la casse pour quitter les hangars. « Ce n’est pas une question d’âge, c’est plutôt une question d’adéquation avec le marché. Nous vendons certains modules, obtenus à la suite de l’acquisition d’une entreprise, qui ne correspondent pas à notre parc ou des équipements spéciaux qui reviennent après des locations de longues durées. »

Les acquéreurs sont d’ordinaire des clients locaux, des agriculteurs ou des entreprises de BTP, intéressés par quelques baraquements. Mais depuis trois ans, Loxam Module travail avec un acheteur de plus grande envergure : Deltamod. Cette société, installée à Nort-sur-Erdre près de Nantes, œuvre dans le reconditionnement et le transfert de modules depuis sa création en 2013. Elle appartient au Groupe GSCM, fabricant de bâtiments modulaires, depuis la fin de l’année dernière. « Dans la location, un module neuf possède en général une durée de vie de sept ans, alors que les dernières générations d’armature peuvent durer cinquante ans. Nous récupérons des lots de bâtiments pour leur donner une seconde vie », expose Pierre Visonneau, directeur général et fondateur de Deltamod. L’entreprise achète des lots de produits dans un état divers. En général, environ un tiers des modules nécessitent seulement un rafraîchissement avant d’être remis sur le marché. Les autres sont démontés en partie ou totalement afin de récupérer les éléments en bon état. Ces composants serviront à assembler de nouveaux modules complets. « Nous utilisons peu d’équipements neufs dans ce processus de remise en état », remarque le responsable. Interrogé quant à sa capacité à maintenir son approvisionnement, il ne se montre pas inquiet. « Il y a même de plus en plus de modules à récupérer. Les entreprises comprennent qu’elles ont de la trésorerie qui dort. »

Deltamod propose aussi des prestations de montage sur site ou de remise en état. Ses équipes peuvent aussi réaliser des créations sur-mesure à partir de leurs matériaux de seconde main. D’après Pierre Visonneau, cette offre vient répondre aux besoins de donneurs d’ordre soucieux des économies d’énergie et de l’esthétique de leurs locaux, « c’est très palpable, les dirigeants cherchent à améliorer les conditions de travail des compagnons ». La prochaine étape sera un service de maintenance. « Une bonne maintenance constitue le meilleur moyen d’augmenter la durée d’un module », souligne le responsable. L’unité chargée de cette activité a été créée en septembre 2021. Elle débutera ses opérations durant le printemps 2022.

La clientèle de la société s’étend des petites entités aux grands groupes nationaux. « Ces derniers sont encore plus intéressés depuis que les délais de fabrication du neuf ont augmenté. » Le directeur général constate en outre que la perception de l’occasion à changer au cours de la dernière décennie. « J’ai débuté dans cette activité en 2008. À l’époque, l’occasion était presque aussi chère que le neuf. Depuis 2016, nous recevons des retours très favorables. Les clients trouvent que nos méthodes ont du sens. Les nouvelles générations accélèrent cette prise de conscience. »

Consommation et logistique

Les bases vie montrent donc l’exemple en matière de réemploi. Pour autant, les coûts environnementaux de ces biens ne se limitent pas à ce sujet et les loueurs étudient d’autres questions. L’efficacité énergétique arrive en tête des préoccupations actuelles. « Je pense que les demandes autour réemploi et du recyclage connaîtront un véritable essor dans les prochaines années. Pour les moments, nos utilisateurs nous questionnent avant tout sur nos mesures en matière d’économie d’énergie », analyse Michel Gourmelon. Les systèmes de contrôle du chauffage et de l’éclairage deviennent des options courantes. Autre avancée, les premiers modules conforme à la RE 2020 devraient sortir dans les prochains mois. La logistique des structures constitue un autre poste important d’émission de CO2. « Notre maillage réduit le temps de transport à moins d’une heureet demi », observe Alexis Salmon-Legagneur. C’est également une priorité chez Cougnaud. « Nous comptons continuer notre maillage du territoire en vue de limiter les distances de transport et d’optimiser la proximité client, affirme Patrice Cougnaud. L’ouverture d’une nouvelle agence Paris Nord est prévue, au plus tard en 2023. » Cependant, Michel Gourmelon pointe un dernier obstacle qui handicape le secteur. Les composants qui servent à l’isolation des panneaux, le polyuréthane et la laine de roche, n’ont pas encore de filière de recyclage. « Si un acteur propose une filière de débouché pour ces matériaux, nous serons les premiers à suivre. Dans le cadre de notre stratégie RSE, nous étudions toutes les possibilités de nous améliorer. »

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