
La Réunion de Chantiers consacrait son édition de mars aux problèmes d'approvisionnement rencontrés par les distributeurs.
La Réunion de Chantiers de France : les distributeurs face à la crise de l’offre
Après une longue période durant laquelle les distributeurs ont eu à gérer l’attente, les capacités à fournir et les délais se détendent légèrement en ce début d’année. Pendant ces mois difficiles, ils ont appris à mieux administrer les commandes de long terme et à mieux travailler sur la gestion des flux commerciaux. « Une expérience intéressante, témoigne Jean-Michel Van de Velde, président de V2V. La situation s’améliorant progressivement, nous sommes plus sereins. » Le contexte qui a prévalu au cours de ces derniers mois a impliqué une certaine prise de risque chez les distributeurs. Il leur a fallu constituer du stock pour ne pas s’exposer à des délais de livraison trop dissuasifs. Les outils dont ils disposent, pour certains, comme les CRM, permettent d’avoir une visibilité assez forte sur les investissements des clients. Aussi, pour le président du groupe V2V, « il n’est pas trop compliqué de se positionner sur des commandes à long terme, pour le moment ». Pour raccourcir les délais de livraisons, le président de Toufflin MTP est allé plus loin. « Nous avons dû engager pratiquement 50 % du chiffre d’affaires en pré-commandes, révèle Philippe Papin. Cela a permis de les intégrer dans les forecasts des usines et d’annoncer, pour ces machines, des délais de trois à quatre mois. » Pour les machines non programmées ou qui ne sont pas standard, en termes de taille ou de spécifications techniques, la patience est de mise. Pour les deux distributeurs, la stratégie s’est avérée payante. Ils enregistrent une hausse du chiffre d’affaires «significative» sur l’exercice 2022, dans la continuité des années 2020 et 2021. Les volumes sont là et les distributeurs sont parvenus à facturer en conséquence, notamment l’année dernière.
Proximité
Les contraintes de déplacements en région parisienne amplifient le besoin de service de proximité assuré par des techniciens aux compétences élargies. Le constat est clair : il s’avère impossible d’intervenir « efficacement » sur l’ensemble de l’Île-de-France à partir d’une base unique. Vincent Lemoine, président de JCB Grand Paris, réfléchit à l’ouverture d’une troisième base pour densifier sa couverture du territoire. L’ouverture récente de l’antenne Liebherr à Taverny (95) vient compléter la plateforme principale de l’agence Liebherr de Paris, à Fontenay Trésigny (77). La logistique Pièces de Rechange évolue aussi. L’atelier reste un incontournable pour les opérations « lourdes ». Il sécurise le client. L’une des forces des distributeurs est leur capacité à s’adapter au contexte local et de mettre en œuvre les moyens nécessaires tout en tenant compte des spécificités de chaque client et en veillant à bien quadriller les territoires concédés. Expansion géographique ou extension endogène, le métier commande des surfaces financières de plus en plus larges. À l’instar de la location, la distribution est un métier à haute intensité capitalistique.
Mais le défi le plus dur à relever est probablement de rendre leurs entreprises attractives, aujourd’hui comme demain. Cela suppose de muter d’une logique de sélection vers une approche de séduction vis-à-vis des jeunes talents. La crise de l’offre ne concerne pas que le matériel. La ressource humaine étant également pénurique, un travail particulier doit être fait sur la marque employeur. Cela passe par des initiatives auprès des écoles. Comme ses confrères, Vincent Lemoine a anticipé au maximum ses carnets de commandes. Une nécessité pour ce nouvel entrant dans le métier, qui annonce des délais de six à huit mois selon les gammes de matériels. Après avoir remis en place une équipe commerciale, le président de JCB Grand Paris se prépare à présent à la seconde phase du Grand Paris Express. Même si les décisions d’investissement semblent plus longues à se concrétiser, la largeur de la gamme du constructeur anglais permet de diversifier les profils clients. Avec un carnet de commandes historiquement haut, V2V entame l’exercice 2023 sous les meilleurs auspices. Toutes les gammes sont à l’unisson. Quant aux profils de clients, si les TP et la construction en général tendent à ralentir, l’industrie et les métiers liés à l’environnement restent bien orientés. Une prise de commande moins dynamique laisse augurer une année 2024 plus difficile. « Mécaniquement, 2023 ne peut être une mauvaise année, annonce Philippe Papin. Un léger tassement des offres réalisées, de 17 à 20 %, est observé, principalement sur le marché du BTP. La manutention industrielle reste bien orientée. » Une appréciation partagée par Jean-Christophe Savoyet, directeur général de Liebherr Distribution et Services France SAS, qui fait état d’un déplacement géographique de la demande. Si la région parisienne s’inscrit en retrait, le sud-ouest - et l’agglomération toulousaine en particulier avec le lancement des travaux de la nouvelle ligne de métro - progresse.
Services
Créé le 1er janvier 2022 pour séparer les activités des usines de production implantées à Colmar de celles de la distribution, Liebherr Distribution et Services SAS opère comme un distributeur au sein du groupe. Il n’a aucun passe-droit auprès des différentes usines spécialisées par ligne de matériels. Une création motivée par la volonté de délivrer un SAV plus efficace et plus rapide. Pour y parvenir, les moyens sont mutualisés au sein des quatre agences et des cinq antennes. Au total, 165 techniciens itinérants et 44 techniciens d’atelier sont opérationnels. La vente de matériels neufs reste un enjeu essentiel tant elle structure la composition du chiffre d’affaires distributeur. Sur les 155 millions d’euros de chiffre d’affaires réalisés en 2022 par V2V, 60 % sont tenus par les ventes de matériels neufs et d’occasion, contre 20 % par les Services (SAV traditionnel et contrats), et autant pour la location courte, moyenne et longue durées. Des ratios comparables à ceux de Toufflin MTP, à la différence près que le concessionnaire n’intervient pas dans la location de matériels de moins de 14 t. La contribution des 100 machines de production en parc de location est donc logiquement moins forte, même si elle connaît des taux de progression « à deux chiffres » depuis plusieurs années. C’est même l’activité qui augmente le plus vite, notamment grâce à une palette d’offres. Une nécessité pour mettre en œuvre une stratégie de suivi du parc prédictif, à partir du système de télématique embarquée des matériels. Pour Philippe Papin, il est essentiel que la maîtrise de la maintenance soit chez le concessionnaire. La dimension servicielle du métier s’affirme. Chez V2V, 80 % des matériels distribués sont associés à un contrat, depuis l’offre de station de service au full service. « Cette activité progresse de +20 % tous les ans dans le groupe, rapporte Jean-Michel Van de Velde. De plus en plus de clients veulent une prestation globale afin de linéariser leurs coûts. Nous tendrons vers les 100 % d’ici quatre à cinq ans tant l’accélération est forte. Nous passons de plus en plus vers une prestation globale, financement compris. »
Cette tendance lourde a nécessité la réorganisation de l’ensemble des services avec la mise en place de deux équipes, l’une dédiée à l’entretien de premier niveau, l’autre consacrée aux interventions de dépannage. Un dépannage de plus en plus proactif, avec l’injection de la data et qui est géré à partir d’une plateforme spécifique. À l’heure où la propriété bat en retraite à mesure que l’économie de l’usage s’impose, les exigences des clients en matière de services s’amplifient. Des moyens « lourds » sont donc mobilisés pour y répondre. De nouvelles prestations voient le jour, basées sur la gestion et l’exploitation des données machine. Cela signifie que le distributeur remonte dans la chaîne de la valeur de son client, en l’accompagnant jusque dans la réalisation de son chantier. Même si le terme peut parfois paraître galvaudé, c’est un bien nouveau type de « partenariat » qui se met en place entre les distributeurs et leur client. Les professionnels qui ne s’y seraient pas préparés vont rapidement s’exposer à de réelles difficultés. Chez V2V, la démarche partenariale va encore plus loin puisque, après les datas scientists, des ingénieurs applications et des ingénieurs matériel vont être recrutés.
Paradigme
Le métier change et les exigences en matière de recrutement évoluent, considérant que l’enjeu n’est plus de vendre un matériel mais de mettre en œuvre une solution permettant au client de travailler en toute efficience. Au distributeur de mettre en place l’infrastructure, les systèmes et les services associés pour accompagner les clients dans la décarbonation de leurs chantiers. Faute de savoir, aujourd’hui, sur quel périmètre se positionner en matière de technologie, le recours à la location est une alternative de plus en plus intéressante. Cela d’autant que les matériels vont coûter de plus en plus cher et que les écarts ne pourront être répercutés sur les prix des chantiers. Un nouveau modèle économique est à définir pour permettre aux exploitants de profiter de la transition énergétique sans en payer le prix. De nouvelles compétences sont à intégrer dans les organisations toujours plus orientées vers la prestation. Une exigence face à l’érosion des marges et, demain, des volumes. L’essor de la location et du SAV à forte valeur ajoutée leur permet de regagner en profitabilité, condition sine qua non pour assurer leur pérennité.
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