Sur les chantiers, les mesures de sécurité sanitaire modifient les pratiques en matière de base vie. Sortis du temps des urgences, les loueurs réfléchissent désormais à l’adaptation de leurs offres.

En quelques semaines, l’épidémie de coronavirus a bouleversé le monde du travail. Dans les bureaux abandonnés, quelques récalcitrants masqués monologuent devant leur ordinateur. Le café sent un peu le gel hydroalcoolique. Dans les travaux publics, les conséquences des mesures sanitaires sont moins spectaculaires. Le béton ne se coule pas à distance et les compagnons sont souvent dispersés aux quatre coins d’un site en plein air. Le guide de préconisation de l’OPPBTP* sous le bras, un masque sur le nez, les pognes décrassées, les chantiers continuent leur chemin. Sauf quand sonne l’heure du retour à la base vie. Le refuge des travailleurs est devenu un potentiel foyer de contamination. Vestiaires, réfectoires, toilettes, autant de lieux fréquentés de tous, sans grand contrôle, du moins jusqu’à l’arrivée du virus.

Entre le premier confinement et ce changement de perception, les loueurs de module de chantier ont connu une année 2020 mouvementée. L’annonce du confinement, le 16 mars, marqua le début d’une phase d’hibernation. La filière fournissait encore des locaux aux secteurs essentiels, mais tout le reste s’était arrêté. Algeco estime la baisse de son activité à 80 % dans les jours qui suivirent la décision du Gouvernement. « Les loyers pour les modules déjà en place ont été maintenus. Mais pour les rotations de matériels, c’est 55 jours de perte nette », note Gilles Petitprez, directeur de Kiloutou Module. Les loueurs se posaient aussi beaucoup de questions quant aux risques sanitaires inhérents à leurs produits. L’Association de la construction industrialisée et modulaire (Acim) a tâché de regrouper les informations nécessaires avec l’aide des membres constructeurs d’équipements. « L’ouverture du syndicat aux fabricants de matériels était motivée par le respect des réglementations. Dans cette logique, il est nécessaire de travailler avec eux, explique Michel Gourmelon, directeur de Loxam Module. Nous avions notamment des interrogations quant au fonctionnement des systèmes de climatisation, les industriels membres l'Acim ont pu y répondre. » L’organisation professionnelle a édité un recueil de bonnes pratiques sur le sujet.

La commande fémorale en vogue

Paru le 2 avril, le guide de préconisation de l’OPPBTP a défini les nouvelles conditions de travail du BTP. Ses directives ont engendré de nouveaux besoins. Les entreprises de construction se sont mises à la recherche de points d’eaux, de distributeurs de gels et de modules supplémentaires quand l’emprise du chantier était suffisante. « Nous avons constaté une légère augmentation des commandes pour les vestiaires et les réfectoires, indique Alexis Salmon-Legagneur, directeur général d’Algeco. Les demandes de commandes fémorales et de distributeurs sont aussi plus fréquents que d’habitude. Nous sommes équipés pour ces besoins. Nos bâtiments sont facilement modifiables. Il y a aussi de nouvelles requêtes : des systèmes de contrôle automatique de la température corporelle ou des commandes uniques pour les équipements de chauffage, ventilation, climation et de sécurité incendie. » Cette brusque variation de la demande a provoqué quelques ralentissements. « Nous avons dû travailler vite avec nos fournisseurs. Nous avions peu de visibilité sur les délais de livraison, indique Gilles Petitprez. Toutes les entreprises ont rencontré des points de blocage dans ce domaine. La situation est redevenue normale courant juin. » Dans l’urgence, Enygea, le groupe propriétaire de WC Loc, a fait fabriquer par sa filiale de carrosserie des lave-mains sur mesure avec des barrières. « C’est une manière d’aider nos clients. Certains chantiers ne pouvaient pas rouvrir sans ces équipements », précise David Desauw, directeur national des opérations, logistiques et services
d’Enygea.

Outre ces exigences matérielles, l’hygiène des installations a gagné en importance. Les prestations de désinfection sont devenues un service courant. L’usage des systèmes de nettoyage par nébulisation se répand, chez Kiloutou et Algeco par exemple. Cette préoccupation se révèle particulièrement prégnant dans l’univers des toilettes. Auparavant les recommandations de la norme NF EN 16194 – vidange toutes les semaines et désinfection tous les jours – n’étaient pas toujours respectées. Selon David Desauw, les exigences sont désormais toutes autres : « des clients nous ont demandé de fournir des produits nécessaires à la désinfection ou d’opérer une désinfection quotidienne, voire une vidange quotidienne. Pour soucis de sécurité, nos collaborateurs portent désormais des combinaisons intégrales et emploient des produits bactéricides et virucides fabriqués par les Laboratoires Anios. Ils ont été formés à l’utilisation de ces nettoyants. Ces derniers ne présentent aucuns effets nocifs. Ces procédures rassurent également nos donneurs d’ordre. » La montée d’activité dans le BTP vient à point pour WC Loc. Elle compense quelque peu l’arrêt de l’événementiel, l’autre source de revenu essentiel de l’entreprise. « La hausse de la qualité de service nous permet de conserver des emplois. » Le directeur n’envisage pas un abandon de ces nouvelles pratiques. « L’hygiène est devenue un maillon fort de la prévention. Nos clients ne veulent pas revenir en arrière. Les services qualité-sécurité-environnement nous associent à leurs réflexions sur le sujet. »

Définir des standards

Du côté des bases vie, l’épidémie va sans doute contribuer à la généralisation de certains équipements. « Nous réfléchissons à intégrer des robinets à commande fémorale et des détecteurs de présence pour l’éclairage, analyse Michel Gourmelon. Nous utilisions déjà ces derniers en vue d’économiser de l’énergie. Ils présentent aujourd’hui un nouvel intérêt : réduire les contacts. » Kiloutou Module a poussé la logique jusqu’à l’aménagement. La société test actuellement un module spécial Covid où le couloir d’accès passe par des lave-mains. Néanmoins, Alexis Salmon-Legagneur n’observe pas un revirement des habitudes du BTP : « les cahiers des charges montrent encore peu d’évolutions. Le dimensionnement n’a pas tellement changé. Mais, au-delà de ce constat, la crise sanitaire met en évidence les avantages des bâtiments modulaires. Leur flexibilité s’avère très précieuse dans une période où les aménagements doivent être modifiés. »

Les loueurs se trouvent maintenant dans une situation ambivalente. Les grands groupes de construction n’ont jamais porté autant d’attention à leurs bases vie. Les conséquences de cette nouvelle dynamique sont encore vagues. Par ailleurs, ces démarches ne dépassent pas les frontières de l’entreprise. Le secteur court le risque d’un morcellement de la demande, où chaque société fixe ses règles. Pour Michel Gourmelon, un travail d’harmonisation devient nécessaire : « Il faut maintenant réfléchir au moyen et au long terme. Si chaque entreprise de construction veut un modèle de base vie spécifique, notre métier deviendra très complexe. Nous devons donc nous concerter avec nos clients et les instances publics afin de définir de nouveaux standards. L’Asim pourrait fédérer cette démarche. »

* : Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics

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