
La Réunion de Chantiers de France : les majors face au mur de l'investissement
En ce début d'année, les facteurs d’incertitudes extérieurs à la profession sont nombreux. Il existe cependant des raisons objectives d’être optimiste. Les prévisions d’activité restent bonnes et les carnets de commandes des entreprises sont plutôt bien garnis. « L’inflation qui s’est invitée en 2022 est toujours là. Or inflation et volume font rarement bon ménage, il faut donc procéder à des arbitrages soit par le volume, soit par les délais, les budgets de donneurs d’ordre étant contraints, commente Olivier Grisez. Certains segments de marché commencent à donner des signes de faiblesse. »
Globalement, le marché de la construction reste porteur, tiré par les grands projets d’infrastructures. Le secteur de la rénovation en général et des travaux liés à la transition énergétiques en particulier soutiennent le Bâtiment. La confiance est de mise chez Kiloutou, dans un environnement à la fois incertain et volatil, au regard de l’envolée des prix de l’électricité, du gaz et des carburants. « L’incertitude est liée à beaucoup de facteurs qui sont totalement hexogènes au secteur, observe Pierre Knoché. Le marché, qui a su faire preuve de beaucoup d’agilité en 2022, reste résilient, et il n’y a pas de raison que l’on aborde 2023 différemment. » La rénovation énergétique va soutenir les PME/TPE et l'artisanat du Bâtiment. Les effets de la réindustrialisation et les travaux liés à l’indépendance énergétique du pays vont également doper l’activité. En outre, l’industrie et les services sont dans la même dynamique. Dans ce contexte de marché, la location, comme toujours en amorce et en sortie de crise, fait valoir ses avantages. Elle s'inscrit dans l'économie de l'usage, qui est la meilleure réponse aux incertitudes du moment. Les majors entendent saisir les opportunités qui se présenteraient à elles et capitaliser sur les valeurs du métier.
La pénétration de la location tend à donc se renforcer. « Le recours à la location est un bon outil de gestion en période d’incertitude, et encore plus en période d’inflation, indique Pierre Knoché. Avec un taux de pénétration de l’ordre de 50 % en France, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir si l’on se compare au Royaume-Uni ou à la Suède qui sont plutôt à 70 ou 80 %. »
Principe de réalité
L’Hexagone offre donc des marges de manœuvre significatives. L’été dernier a permis de vérifier le phénomène, avec un recours croissant à la location de groupes électrogènes pour s’affranchir d’éventuelles coupures d’alimentation électrique. En cause, également, l’envolée des prix des matériels à des niveaux qui ne feraient que grever le bilan et tendre vers une structure de coûts fixes beaucoup plus importants. Les engagements pris par les majors de la profession dans le domaine de la transition énergétique encadrent leur stratégie d’investissement Matériel. Comme le rappelle Olivier Grisez, « nous fléchons une part très importante des investissements vers des matériels innovants et des motorisations alternatives. C’est un choix d’entreprise qui s’inscrit dans le cadre de la stratégie de Loxam d'accompagner ses clients fortement engagés dans la transition écologique. » Le loueur investira, en valeur, un quart de ses budgets dans des matériels « verts » cette année. Face au principe de réalité (la disponibilité, le prix et les délais de livraison des matériels), il se doit d’adapter sa stratégie. Confronté à des délais « allongés », pouvant atteindre 12 mois pour certaines références cœur de gamme, il s’efforce de planifier au plus près ses achats à court et long termes. Mais planifier longtemps à l’avance dans un environnement incertain n’est pas un exercice facile. Le maître mot est l’anticipation, en veillant à ne pas sur-anticiper. Olivier Grisez le souligne : « Nous devons gérer cette ambivalence, entre la nécessité de renouveler le parc en intégrant les délais très longs des constructeurs qui commandent de prendre des engagements an amont et des réalités de marchés qui pourraient évoluer à six à neuf mois. » Le sujet devient un enjeu sociétal et constitue un critère clivant dans les marchés. L’allongement des délais de livraison constitue une donnée de marché qui a affecté les loueurs l’année dernière et qui perdure aujourd’hui. Elle appelle une réponse adaptée. « Nous avons réussi à anticiper en 2022 bon nombre de commandes, en élargissant effectivement le panel de fournisseurs, rapporte Pierre Knoché. Comme pour tous nos matériels, les nouveaux entrants doivent passer sous les fourches caudines de notre centre d’essais. Cela pour valider non seulement la viabilité du produit sur le marché européen mais également la compatibilité au cahier des charges de Kiloutou. Nous ouvrons le panel de fournisseurs de manière sporadique à ce stade, portant sur quelques machines. Nous ne sommes pas sur un remplacement fondamental des constructeurs européens par des concurrents. » Outre la transition énergétique, la RSE fait partie des fondamentaux partagés par les majors. Cela se vérifie dans le domaine de l’élévation de personne, qui offre des alternatives
intéressantes.
Évolution des coûts
La location subit le retour de l'inflation. L’ensemble la profession a vu ses coûts s’apprécier en 2022. Si la hausse des prix a atteint 6,5 % à fin 2022, la structure des coûts des loueurs a évolué de manière plus nuancée, de l’ordre de 10 % pour les consommables et les pièces détachées, 30 % environ pour le traitement des déchets, le prix de l’électricité ayant été multiplié par 7 de mi 2021 à mi 2022. « Un travail sur notre productivité a permis d’absorber une partie de cette majoration, mais l’ampleur du phénomène ne nous permet pas de la compenser intégralement, estime Pierre Knoché. Nous avons engagé une démarche de hausse de nos tarifs, certains prix étant plus faciles à ajuster, comme les prix publics, sur lesquels nous pouvons être plus réactifs. » L’ensemble de la filière de la construction a engagé cette démarche. Dans l’artisanat du Bâtiment, 90 % des structures ont procédé à une augmentation des prix, permettant d’absorber 70 % des hausses des coûts subis. En ce début d’année, l’enjeu est d’anticiper la répercussion de l’inflation à venir. Phénomène inédit dans la location, des discussions de revoyure ou de clauses automatique de révision des prix pour l’ensemble des contrats sont engagées, au risque de voir la rentabilité des sociétés de location se dégrader. L’introduction d’index ou de clauses de revoyure constitue une réponse adaptée à la situation. Cette avancée est plus facile à envisager pour les nouveaux accords que pour les marchés en cours, en particulier pour les contrats de longue durée. « Nos clients ont été confrontés à cette situation et ont réussi à négocier avec habileté des conditions satisfaisantes, note Olivier Grisez. L’élaboration par la fédération professionnelle d’indicateurs de référence basés sur les données Insee permet de préciser l’évolution des coûts de revient. » Ces index ont vocation à s’ancrer dans la profession, dans le cadre d’une relation saine entre les loueurs et leurs clients, conformément aux engagements RSE de ces derniers.
Financements
A l’abri globalement de l’appréciation des frais financiers, grâce à une structure de dette à taux fixe donc insensible à l’évolution des taux et des sous-jacents, Loxam travaille à l’optimisation de ce poste en cherchant à diversifier ses sources. L’octroi, par la BEI, la « banque du climat », d’un prêt « vert » à hauteur de 130 millions d’euros, illustre la capacité du loueur a financer l’acquisition de matériels à motorisation électrique et hybrides à date, demain à hydrogène . « Actuellement, une partie du financement via le marché obligataire est plutôt fermé, observe Pierre Knoché. Mais les banques ne sont pas simplement les partenaires de notre croissance. Depuis longtemps, elles sont aussi les partenaires de notre performance RSE ». Après avoir souscrit le premier emprunt de la profession indexé à des paramètres RSE dès 2021, Kiloutou a poursuit le financement de son parc avec de nouveaux prêts, au-delà du crédit-bail ou du financement bilatéral classiques. Pour les deux acteurs, c’est bien la disponibilité des matériels qui pose problème, les financements indépendamment de la forme choisie, n’étant pas un sujet.
Transition
Avec les constructeurs, les loueurs, font évoluer les technologies embarquées. Ils sont à l’avant-garde de la transition énergétique de la filière des matériels de chantier. L’enjeu est d’importance pour les deux parties : définir ensemble la solution Matériel la plus efficiente pour un chantier donné, en optimisant l’empreinte carbone et en améliorant la sécurité. Après les matériels de terrassement, c’est au tour des gammes Élévation de personnes et Transport d’accélérer chez Kiloutou, avec l’arrivée de la première nacelle automotrice à flèche articulée de 20 m et le premier porteur de 32 t électrique. Le co-développement avec les majors de la construction et le partenariat deviennent la norme. « Depuis deux ans, la transition énergétique s’invite dans le débat, relève Olivier Grisez. C’est le rôle de la location que d’introduire les innovations sur le marché pour en faciliter l’acceptation par les différents acteurs. » Le loueur doit composer avec un modèle économique inédit, la rentabilité immédiate de la mise sur le marché de matériel innovant étant impossible. « En nous positionnant sur ces matériels innovants, nous avons provoqué cette accélération, se félicite Pierre Knoché. Même si, à terme, la réglementation et les usages auront évolué, il est important d’accompagner cette transition énergétique. Cela permet aussi d’anticiper les évolutions majeures du parc tant les technologies ne sont pas matures. »
Un effort de « marketing » et la définition d’une offre packagée rendront ces initiatives plus lisibles et plus visibles, avec des prix des matériels plus accessibles. Mais les deux loueurs s'accordent sur le fait que les avancées viendront d’une initiative commune aux entreprises, constructeurs et loueurs, ainsi que les donneurs d’ordre publics et privés de l’ensemble de la filière. Le législateur a également son rôle à jouer. Après les choix de technologie et l’évaluation des cas d’usage, la mise à l’échelle est conditionnée par la capacité à définir pour chaque chantier le modèle économique le plus pertinent pour les différents intervenants. Une équation à trois inconnues, dont la solution reste à trouver rapidement au regard des engagements pris à l’horizon 2030. Engagées dans la transition énergétique de leur parc, les majors doivent maintenir leurs investissements soutenus pour ne pas s'exposer, demain, au mur de l'investissement.
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