Encouragés par la conjoncture, les vols de matériels de chantier sont en hausse avec de graves conséquences pour les entreprises du secteur. Pour limiter ce risque, de nombreux systèmes plus ou moins sophistiqués existent sur le marché.

Vol de matériels : de la fauche à la tonne

Le vol constitue un aléa courant dans la vie des entreprises. D’autant plus dans le secteur des travaux publics, où les équipements et les matériaux circulent en permanence, sans toujours bénéficier d’une surveillance adéquate. Pour la commission location de DLR, la fédération des matériels, le phénomène prend toutefois une importance inédite. « Le vol a toujours été une réalité de nos métiers, mais nous avons atteint un stade vraiment critique, alerte Joël Fruchart, président de la commission. Il n’y a pas une réunion sans que nous évoquions ce sujet. Nous estimons que les délits ont été multipliés par trois en 2022 par rapport aux années précédant le Covid. » Les causes d’un changement social sont difficiles à cerner, tant elles sont multiples. Néanmoins, dans ce cas, les conséquences de la guerre en Ukraine semblent inciter à la rapine. Les prix des engins augmentent. Les délais de livraison s’allongent, certaines pièces sont en rupture de stock. Ces facteurs tirent vers le haut le marché de l’occasion. De quoi aiguiser les appétits. D’après DLR, 4 000 matériels sont dérobés tous les ans aux loueurs, dont 2 000 machines autoportées, ce qui représente une perte de 20 millions d’euros pour la profession. Les engins faciles à transporter sont les plus concernés : les mini-pelles de 2,5 à 5 t ou les rouleaux de compactage de 65 cm. « Mais les engins plus volumineux ne sont pas épargnés », souligne Joël Fruchart. Et quand les voleurs ne possèdent pas les moyens logistiques nécessaires, ils n’hésitent pas à s’emparer des accessoires ou des composants. Les pots catalytiques et les moteurs sont particulièrement appréciés.

Profils variés

La deuxième édition du baromètre Coyote sur les vols d’engins et de véhicules dans les entreprises, réalisé avec l’Observatoire français de l’industrie, du commerce et des services, pointe une dynamique similaire. Les résultats de ce sondage sont établis à partir des réponses d’environ 1 000 responsables d’entreprises agricoles ou de BTP. Un chef d’entreprise sur deux estime être concerné par la question, car victime d’un vol ou connaissant un professionnel ayant subi ce type d’exaction. Parmi les personnes interrogées, 72 % jugent que la situation s’aggrave. L’Île-de-France arrive en tête des régions les plus touchées devant la Provence-Alpes-Côte d’Azur et l’Auvergne-Rhône-Alpes. « Si l’on excepte la région parisienne, la vallée du Rhône et le pourtour méditerranéen, le nombre de délits peut varier fortement selon les années, précise Olivier David, directeur commercial France de Coyote. L’installation d’une bande dans un territoire va entraîner une forte augmentation. Après son démantèlement, les chiffres chutent jusqu’à l’arrivée de la prochaine bande. » Chez les exploitants volés, 30 % évaluent leur perte à plus de 10 000 euros et 74 % considèrent que leurs activités ont été désorganisées par la disparition de leurs équipements. En revanche, seulement 11 % évoquent un chômage technique, un rappel que ces deux secteurs manquent de personnels. Les compagnons trouvent toujours à faire même sans machines. À partir des expériences de Coyote dans la récupération de matériels, Olivier David classe les voleurs en trois catégories : « Les premiers recèlent les machines complètes en France ou à l’étranger. Ce sont en général des bandes bien organisées. Les seconds dérobent des petits équipements ou des pièces. Ces derniers finissent souvent en vente sur des plates-formes web. Enfin, les derniers volent pour leur propre usage, un cas très rare par le passé, mais plus fréquent depuis deux ans. »

Réponses mécaniques ou électroniques

Face à cette menace potentielle, il est permis de réfléchir aux éventuelles parades. Le simple garage s’avère dépassé. Le baromètre de Coyote rapporte que 80 % des engins dérobés étaient entreposés dans un lieu fermé et sécurisé. Passé cette constatation, il reste à se tourner vers les dispositifs antivols. Le catalogue de Kramp donne un bon aperçu de l’offre existante. « Les machines utilisées sur les chantiers sont toujours plus perfectionnées et coûteuses, ce qui attise les convoitises. Les tarifs des carburants à la hausse conduisent également à une recrudescence des vols. Les acteurs du marché TP sont donc enclins à protéger leur matériel. Il était donc naturel pour Kramp de proposer des réponses à ces besoins », indique le fournisseur de pièces détachées par mail. Le groupe commercialise ainsi des systèmes de verrouillage antivols de remorques, des cadenas ou des conteneurs métalliques sécurisés qui ajoutent une barrière supplémentaire entre la machine et le malfaiteur. Plus sophistiqué, les kits antidémarrages conditionnent l’activation du moteur à la possession d’une clé synchronisée avec le terminal électronique. Contre les siphonnages, les exploitants pourront trouver des bouchons à clé pour les réservoirs de carburant. Kramp note que ces produits peuvent être pris en complément d’une autre acquisition. « Ce n’est pas systématique, mais lorsqu’un client nous achète par exemple une tête d’attelage ou une remorque, celui-ci va se pencher sur un possible antivol qui se fixe sur l’attelage. »

Autre procédé populaire, la géolocalisation donne la possibilité de connaître l’emplacement de l’engin. Cependant, Olivier David observe que les criminels se sont adaptés à ces outils. « Un système qui est relié à la batterie de l’engin et qui utilise le réseau GSM ne peut pas garantir les mêmes taux de récupération que notre dispositif Coyote Secure, soit 91 % dans les 48 heures. Les voleurs sont mieux organisés. Ils débranchent les batteries. Ils brouillent également les signaux mobiles. » Le boîtier Coyote Secure s’affranchit justement de ces deux paramètres. Il transmet ses signaux à la plate-forme informatique du fabricant par le biais des réseaux étendus à basse consommation (low power wide area network ou LPWAN) Sigfox et Lora. Comme leur nom l’indique, ces technologies sont conçues pour consommer peu d’énergie. Coyote Secure possède une autonomie de quatre ans. Ces protocoles bas débit sont aussi capables de couvrir de longue distance sans répéteur ou de franchir une surface épaisse, comme une dalle de béton ou la paroi d’un conteneur. « Nos détectives localisent les engins sur le terrain. Ils préviennent ensuite les forces de l’ordre qui interviennent », explique le directeur. Quelque 400 000 véhicules ou engins sont aujourd’hui munis de cet équipement. Olivier David prône néanmoins un temps de réflexion avant toute pose. « Nous conseillons de sélectionner les machines dont la disparition engendrerait le plus de problèmes. » Avec ou sans Coyote Secure, le directeur recommande des audits réguliers du parc « en vue de connaître la localisation de l’ensemble des matériels ».

Indifférence des pouvoirs publics

Malgré tout, ces protections se révèlent inutiles dans un cas : un client qui ne restitue pas les machines à un loueur. Le temps que la combine soit découverte, les engins sont déjà loin. Joël Fruchart signale que l’usurpation d’identité est devenue un moyen courant de s’approprier des équipements. Ces détournements peuvent même atteindre la centaine de matériels. DLR demande à ses membres de l’informer le plus vite possible de ce type d’arnaque avec une copie du dépôt de plainte. La fédération pourra ainsi envoyer un mail d’alerte à sa communauté. « Nous recevons deux ou trois signalements par semaine », déplore le président. Il regrette par ailleurs le peu d’intérêt des autorités pour ces délits. « Au sein de la commission, nous sommes d’accord sur le fait que la police ou la gendarmerie ne s’occupent pas de ces affaires. Nous avons essayé de les interpeller à ce sujet, mais ce n’est pas leur priorité. » À moins qu’un édile s’en mêle. « Si l’engin se trouve dans une zone rurale, il est possible d’appeler le maire de la localité. Il se démènera peut-être pour convaincre la gendarmerie d’intervenir. En général, les élus n’aiment pas ce genre de publicité. »

Assurer sans certitudes

Dernier recours après le vol de matériels, la police d’assurance peut se révéler très décevante pour les propriétaires faute d’un contrat adapté. Rappel des bases avant de signer.

Voilà, une mini-pelle envolée sans espoir de retour. Pas de géolocalisation et pas l’ombre d’une piste. Reste à se tourner vers l’assurance dans l’espoir de récupérer quelques fonds en vue de racheter une machine, mais les démarches s’avèrent néanmoins corsées. Le deuxième baromètre Coyote sur les vols d’engins et de véhicules dans les entreprises, réalisé avec l’Observatoire français de l’industrie, du commerce et des services, pointe que 90 % des exploitants victimes de ce délit n’ont pas été remboursées intégralement par leur assureur. Le rapport entre les matériels et les compagnies semble en effet placer sous le signe de la confusion. Bien souvent, ces dernières ne connaissent pas les particularités des engins de chantier. Ils sont considérés comme les autres véhicules. « Il faut vérifier que votre interlocuteur connaît ce type de produit, indique Lydia Epifani, directrice du cabinet E.A.C. assurance, spécialisé notamment dans le courtage d’assurances pour les entreprises de BTP et les loueurs de matériels de chantier. Encore beaucoup trop de machines sont assurées en flotte. Il faut aussi se préparer à expliquer la situation à l’expert. Ce dernier n’est pas toujours au fait des particularités des métiers de la construction. »

De son côté, l’assuré doit posséder un minimum de savoirs sur le fonctionnement d’une police. Par rapport à une voiture, un engin de chantier présente de nombreuses spécificités. Citons par exemple la nécessité d’une assurance de responsabilité civile en circulation, dès lors que la machine est amenée à emprunter une voie publique. Le statut des équipements, godets, brises-roches et autres outils, doit être tout particulièrement vérifié. C’est en général l’une des faiblesses des contrats. Autant de subtilités qui peuvent mériter l’accompagnement d’un expert. « Mon expérience professionnelle chez Loxam m’aide à poser les bonnes questions, observe Lydia Epifani. La relation entre un courtier et une entreprise doit néanmoins s’apparenter à un vrai partenariat pour être efficace. Certains oublient par exemple de nous préciser des particularités qui augmentent la valeur de leurs machines. »

Garder n’est pas voler

La directrice souligne d’ailleurs que le vol de l’engin complet n’est pas le seul préjudice à prendre en compte. Dérober du carburant, des batteries ou des accessoires sont aujourd’hui des délits répandus. Sans oublier les actes de vandalisme. « Le BTP subit tous les aléas qu’ils soient liés au contexte social ou à la conjoncture économique. » Dans tous les cas, le résultat est le même : une perte d’exploitation. Enfin, précision élémentaire mais essentielle, un bien loué qui n’est pas rendu ne relève pas du vol. « Si un client disparaît avec un matériel loué, c’est n’est pas un vol, mais un détournement. Les loueurs doivent absolument être assuré pour ce type de sinistre. »

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