
Une interview d'Alexandre Marchetta
Quelles ont été vos motivations à vous présenter à la présidence ?
La présidence du comité obéit à un roulement tous les deux ans, où les pays membres se succèdent à la tête de l’organisation professionnelle. Ma candidature s’inscrit donc dans le cadre de ce renouvellement, qui voit la France, après la Suède, présider le CECE en 2022 et 2023. Je considère que lorsque l’on adhère à une organisation professionnelle, il faut s’engager. J’estime que c’est de son devoir de s’investir dans l’action professionnelle dès lors que l’on en a l’opportunité. Je prends mes fonctions après deux années de confinement, au terme d’une présidence suédoise (NDLR : Niklas Nillroth, VP Développement durable et affaires publiques chez Volvo CE), durant laquelle le présentiel a été totalement banni de notre vocabulaire et alors qu’un conflit que personne n’avait imaginé se soit déclaré sur le continent européen. Tous les équilibres sont bouleversés.
Pourquoi avoir récemment fait évoluer les statuts du CECE ?
L’objectif est double. Il s’agit de s’adapter à l’évolution du droit belge, le comité ayant son siège à Bruxelles, et de se donner la possibilité de rallier des états qui ne disposent pas d’organisation professionnelle de constructeurs de matériels. Le CECE a vocation à représenter l’industrie européenne dans toute sa diversité. Tous les pays européens, avec ou sans fabricant de matériel implanté, doivent être représentés.
Quelles sont vos priorités d’actions ?
J’entends renforcer la visibilité et la reconnaissance de notre secteur au niveau des instances européennes. Plus on est nombreux, donc représentatif, et plus on est capable de peser sur les décisions qui sont prises au niveau de l’UE, en éclairant les parlementaires sur notre industrie, ses besoins et ses contraintes. Mieux nous serons identifiés par ces instances européennes, mieux nous serons compris et mieux nos intérêts seront pris en considération. Je veux aussi que nous retrouvions une proximité relationnelle dans notre communauté professionnelle. Nos métiers sont des métiers de contact. Nous sommes habitués au terrain. Il faut enfin que nous avancions sur les dossiers techniques que le CECE a à gérer.
À quel agenda réglementaire êtes-vous tenu ?
Nous avons deux rendez-vous importants au cours de mon mandat. Le premier concerne la Directive Machine et renvoie à un point crucial : la potentielle évolution du marquage CE des matériels, en intégrant les contraintes de l’intelligence artificielle qui est de plus en plus présente à bord. Il faut que nous avancions durant les deux ans qui viennent.
Pour quelles raisons est-ce aussi important ?
Le respect du marquage CE est essentiel pour assurer une concurrence équitable au sein du marché européen. Si les constructeurs sont globalement favorables au maintien de l’auto-certification, l’UE préférerait qu’un tiers indépendant soit chargé de cette mission. Pour le CECE, cela n’a de sens que si l’intégrité du marquage CE d’un matériel qui entre en Europe est assurée. Le cas échéant, le risque serait de voir se multiplier des déclarations non conformes.
Quel est le second rendez-vous ?
L’autre sujet a trait à l’harmonisation des exigences en matière de circulation routière. La question mobilise le CECE depuis plus de quatre ans. Chaque pays dispose de sa propre règle. Il faut que tous les états membres du CECE se dotent d’une réglementation unique. Nous devrions aboutir rapidement. Le texte est désormais prêt à être présenté pour déboucher sur une nouvelle réglementation probablement fin 2023. Parallèlement, les travaux engagés dans le domaine de la digitalisation et de la transition environnementale sont poursuivis. Sur ces deux sujets, nos entreprises, qui sont proactives, se sont beaucoup investies. Il faut qu’elles soient protégées. Nous y travaillons.
Quelles sont vos prévisions d’activité pour l’année en cours ?
Le rôle du CECE n’est pas de faire des prévisions. En tant que président du groupe Mecalac, je constate que l’activité est encore globalement bonne, sans être non plus exceptionnelle. Nos clients restent majoritairement modérés dans leurs investissements. Les renouvellements des parcs se font avec prudence. Le second semestre pourrait marquer une inflexion. Nous nous attendons à deux années assez difficiles, en particulier en 2023. Même si le plan de relance a permis un rattrapage dont nous avons vu les effets en 2021, la reprise est fragile. Le ralentissement dans le secteur du Bâtiment doit être observé attentivement. Nous sommes très vigilants, au sein du CECE, quant aux conditions de déploiement des plans de relance dans les différents pays européens.
Dans le contexte actuel, quel est pour vous le facteur de risque majeur ?
En tant que président d’un groupe industriel, l’inflation est certainement le plus préoccupant. Le rythme actuel est vertigineux et entraîne les taux d’intérêt. En tant que constructeur, nous sommes amenés à procéder à des hausses de tarifs deux à trois fois par an ! C’est du jamais vu. Nous évoluons dans un environnement inédit, avec une prise de commandes fermes à 18 mois, sans visibilité sur ce que sera l’activité à cet horizon. Le marché est déréglé. Cela entraînera vraisemblablement des conséquences économiques.
Est-ce la fin de la mondialisation, au profit d’une régionalisation de l’industrie à l’échelle européenne ?
Je pense que le caractère international de notre industrie demeurera, même si les derniers soubresauts que nous traversons vont inciter certains industriels à la prudence. Nous traversons une succession de crises marquées par le Brexit, le Covid 19 et le conflit russo-ukrainien. Le paysage relationnel entre les fabricants et leurs fournisseurs va forcément s’en trouver changé. Notre dépendance d’approvisionnement depuis la Chine a été mise en évidence, y compris pour des fournisseurs de rangs 2, 3 ou 4. La situation actuelle est inédite. Jamais nous n’avons été confrontés à autant de difficultés sur d’aussi longues périodes.
Quels sont les atouts des constructeurs européens dans ce contexte ?
L’avance technologique dont dispose l’Europe est un formidable avantage pour relever les défis qui se posent. Dans le contexte actuel, que ce soit dans le domaine des motorisations, de l’intelligence embarquée ou des exigences de sécurité, de bruit, de vibrations et de visibilité, les constructeurs européens disposent d’un avantage concurrentiel certain. C’est pourquoi il faut aller plus loin, accélérer sur ces sujets et gagner encore en productivité.
Dans quels domaines en particulier ?
Sur les sujets de l’automatisation, de la semi-automatisation, de l’assistance aux opérateurs mais aussi sur les énergies alternatives, force est de reconnaître que les constructeurs européens sont plutôt précurseurs. Pour qu’ils le restent et qu’ils préservent leur compétitivité, il faut une réglementation adaptée qui incite à l’innovation.
Les ressources humaines et les compétences sur le « vieux continent » ?
Le CECE est très attentif à ces questions et travaille de concert avec les syndicats de chaque pays à la promotion de notre filière, depuis longtemps, notamment sur la formation. C’est un enjeu central pour nos entreprises.
Comment appréhendez-vous la concurrence croissante des constructeurs chinois ?
C’est évidemment un enjeu fondamental. Nous avons attiré l’attention de l’UE sur le nécessaire respect des réglementations en vigueur et sur la nécessité de surveiller les conditions d’accès au marché européen. Il faut que la concurrence soit loyale. Nous sommes pour être challengés, mais de manière équitable.
Qu’est ce qui fera la réussite de votre mandat ?
La durée du mandat est très courte. En tant que président, nous sommes avant tout les porte-parole de la profession. J’inscris mon action dans la continuité de mon prédécesseur et ce sont les permanents qui réalisent le travail et œuvrent à la bonne marche du comité. Je souhaite que pendant ma présidence, chacun des membres du CECE se retrouve dans nos actions et que l’on retrouve cette complicité qui nous a manqué depuis 2019.
CECE : Repères chiffrés
300 000 emplois directs
1 200 sociétés dont
39 % réalisant de 10 à 50 Mio €
22 % réalisant moins de 10 Mio €
16 % réalisant de 100 Mio à 1 Md €
11 % réalisant de 50 à 100 Moi €
11 % réalisant plus de 1 Md €
40 Mds € de chiffre d’affaires
26 Mds € d’exportations
20 % de part de marché mondial
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