Acteur majeur de la location et de la distribution des matériels de chantier, le groupe Dubreuil entend poursuivre son développpement dans les deux métiers Avec quel modèle économique ? Par croissance organique ou aquisitions ? Sur quelles géographies ? Eléments de réponse avec Paul-Henri Dubreuil expose sa stratégie.

« Nous sommes avant tout des commerçants et allons là où les opportunités de marché sont à saisir », une interview de Paul-Henri Dubreuil, Président-directeur général du groupe Dubreuil

Quelles sont vos prévisions d’activités dans la location et la distribution pour l’année en cours ?

L’économie en général est entre deux eaux. Dans l’automobile, où la problématique du pouvoir d’achat des ménages est sensible, nous sommes dans le dur. Nous observons un léger ralentissement des ventes de matériels TP depuis janvier dernier. Dans la distribution, cela se traduit par une prise de commandes en baisse de l’ordre de 10 % pour nos différentes enseignes. Ce repli est à nuancer considérant les niveaux de référence très élevés. Nous ne sommes donc pas particulièrement inquiets à ce stade. La location est mieux orientée. Le chiffre d’affaires progresse de 13 % sur le premier quadrimestre 2023, soit quasiment le même rythme que l’année dernière. 2023 devrait donc être une autre année de forte croissance pour Newloc.

Face à ces évolutions contrastées, quelles sont les mesures d’adaptation à prendre ?

Nous avons fait preuve d’une certaine prudence en allégeant nos stocks dans les concessions et en ralentissant le rythme d’investissement dans nos parcs de location. Chaque année, Newloc investit de l’ordre de 40 millions d’euros. Compte tenu de l’inflation des prix des matériels, nous nous limiterons à 25 millions cette année, en attendant que les constructeurs redeviennent plus raisonnables dans leur tarification.

Les TP restent-ils un axe de développement pour le Groupe ?

Il peut y avoir, en fonction de la conjoncture, des trous d’air mais structurellement, les métiers liés aux infrastructures et à la construction sont appelés à se développer dans toutes les spécialités. Contrairement au Machinisme agricole qui est soumis à des aléas forts, j’ai confiance dans leur potentiel. Je suis convaincu que le marché du Matériel de TP est et restera porteur. Nous poursuivrons donc notre stratégie de croissance dans ce secteur, avec la location comme axe majeur de développement.

Le rachat, en début d’année de Cheraki Location et de PACA Ventes en est l’illustration. Qu’est ce qui a prévalu à cette acquisition ?

Comme souvent dans ces métiers, c’est une rencontre qui a été décisive. Lors d’une visite à Paris, j’ai discuté avec Morgan Pisanu, alors Directeur de Takeuchi France. Il m’a fait part de son souhait de retourner dans sa région d’origine et de la volonté de Laurent Cheraki de vendre ses deux sociétés en difficulté. Un accord a été rapidement trouvé et a permis de finaliser l’opération dès le 7 février.

Vous avez toujours procédé par capillarité géographique. Peut-on parler de parachutage ?

Ce n’est effectivement pas notre région naturelle pour les affaires. Mais les opportunités qu’elle offre, en particulier dans le domaine de la location, nous intéressent. Nous enregistrons un vrai succès dans l’Ouest avec Newloc. Nous allons tester une nouvelle formule, sous forme de franchise interne. L’idée est de dupliquer localement le concept en conservant les fondamentaux de Newloc !

« Nous allons tester une nouvelle formule, sous forme de franchise interne »

Pouvez-vous les rappeler ?

Avoir un parc matériel abondant et récent, un management très impliqué et compétent ainsi qu’un réseau d’agences de proximité.

Newloc a-t-il vocation à devenir un acteur national de la location ?

Avec ses 350 salariés et ses 35 agences, Newloc poursuit son développement dans le grand Ouest avec une capillarité resserrée. L’ouverture récente d’une nouvelle agence à Vannes illustre cette stratégie. Nous réfléchissons à d’autres implantations dans le secteur. L’entreprise connaît un franc succès, avec des taux de croissance supérieurs à ceux du marché. Nous lui donnons les moyens de se développer avec des renouvellements de matériels rapides, des accroissements de parc importants et des ouvertures régulières d’agences. Ainsi, dans le Sud-est, nous voulons passer rapidement de six à douze agences sur deux départements. Je ne m’interdis rien dans le métier de la location qui est un métier rentable, créateur de valeur pour le Groupe puisque l’on connaît la valorisation des affaires de location. C’est aussi un espace de liberté. Contrairement à la distribution, où votre territoire géographique est par définition limité, la location offre un terrain de jeu plus vaste. Newloc ne va pas devenir un acteur national du jour au lendemain. Si des opportunités se présentent dans telle ou telle région, où nous disposons déjà des points d’accroche, nous pourrons créer d’autres franchises internes.

Ce concept de franchise interne sera-t-il proposé à des investisseurs privés ?

A priori non, mais rien n’est jamais définitif dans le business ! Le développement de Comptoir de Location a alimenté ma réflexion. Aujourd’hui, ce modèle n’est pas dans nos plans. Demain, nous saurons nous adapter si besoin. Dans la location, nous sommes plus dans l’adaptation et la tactique que dans la grande stratégie interne à long terme. Nous sommes avant tout des commerçants et allons là où les opportunités de marché sont à saisir.

Les coûts de la location ont sensiblement augmenté dernièrement. Parvenez-vous à les répercuter ?

L’augmentation des prix de matériels de plus de 20 % aux cours des 36 derniers mois et l’accroissement des taux d’intérêt sont pénalisants. Le coût de détention de nos matériels a complètement changé. Cela explique le renouvellement modéré du parc chez Newloc en 2023. Nous avons préféré réduire la voilure plutôt que nous pénaliser en acquérant des matériels plus chers à l’achat et plus coûteux à financer. Fondamentalement, nous préférons garder des parcs jeunes mais il faut reconnaître que nos clients ne sont pas tous prêts à accepter des hausses de tarifs de location. Pourtant, il est salutaire pour la profession de passer des hausses de tarifs. Le secteur étant encore atomisé, il y a toujours un acteur qui ne révise pas ses tarifs et entretient donc la baisse des prix. Cette situation n’est pas saine pour la profession.

La transition énergétique incite-t-elle vos clients à recourir davantage à la location ?

Effectivement. Les hausses de tarifs appliquées aux matériels neufs poussent certains exploitants à recourir à la location. L’électrification des matériels de chantier et l’évolution de la réglementation, en particulier avec l’instauration des ZFE, vont être bénéfiques, à terme, pour les loueurs, à la condition qu’eux-mêmes, aient les moyens d’investir. Or, quand on sait qu’un matériel électrique est deux à trois fois plus cher qu’un matériel thermique, la capacité d’investissement est forcément réduite.

« Les hausses de tarifs appliquées aux matériels neufs poussent certains exploitants à recourir à la location »

Dans quelle mesure, précisément ?

Si l’on considère que la valeur du parc de Newloc s’élève à 180 millions d’euros pour 36 agences, cela signifie que chaque implantation dispose d’un parc de près de 5 millions d’euros et qui génère 2,2 millions d’euros de chiffre d’affaires. La location est un métier qui exige beaucoup de CAPEX. Un loueur bien noté n’a pas de problème à financer ces investissements, que ce soit sous forme de financement bancaire classique, de crédit-bail, ou de facilités accordées par les constructeurs car les matériels de chantier ont des valeurs résiduelles supérieures à celles d’un véhicule industriel ou une voiture.

Quelles perspectives offrent ce marché de la location, qui reste assez atomisé ?

Les nombreuses TPE et PME, qui ont toujours réussi à s’en sortir, vont souffrir. Au-delà des fluctuations du marché, la réglementation sur le suivi des matériels, la digitalisation, les enjeux de RSE ainsi que de certification et les moyens nécessaires à la transition énergétique vont inciter un certain nombre de loueurs à vendre leur société. En fonction de la qualité de fonds de commerce et des complémentarités géographiques, nous serons prêts à étudier les dossiers, avec une préférence pour les petites structures. Nous n’irons pas sur des grosses structures régionales.*

Préférez-vous la croissance organique aux opérations de croissance externe ?

Nous pouvons agir sur les deux leviers. Aujourd’hui, nous sommes en mesure de rentabiliser une ouverture d’agence au bout de 12 mois. Les rachats n’ont de sens que lorsqu’ils répondent à un problème d’implantation, de disponibilité de sites et/ou de personnel. Il faut aussi que nous nous retrouvions autour de valeurs partagées.

« Nous sommes en mesure de rentabiliser une ouverture d’agence au bout de 12 mois »

Le rachat de PACA Vente était-il souhaité ?

Cela faisait partie de la négociation et faisait sens dans notre organisation. Nous connaissons bien les marques Takeuchi et Hidromek que nous distribuons dans le Groupe via Propel et Tipmat. Nous en sommes très satisfaits même si, depuis deux ans, les approvisionnements du Japon sont compliqués. En règle générale, la distribution est un métier difficile dans la mesure où vous êtes entre le client utilisateur et le constructeur, lequel constructeur peut voir son activité fluctuer sous l’effet du marché, de son management ou de sa capacité à fabriquer. Les sinusoïdes à absorber sont importantes et le distributeur fait office d’amortisseur. En termes de valorisation de fonds de commerce, c’est un secret pour personne, les concessions sont difficiles à valoriser. Les perspectives de valeur ajoutée sont supérieures dans la location. Pour autant en 2022, nous sommes satisfaits des taux de rentabilité de nos activités de concessionnaires de matériels de TP. Elles sont meilleures que ceux que nous enregistrons dans l’Automobile ou le véhicule industriel. Développer le Groupe dans ce métier de la distribution, s’inscrit aussi dans une démarche vertueuse : cela génère du parc, qui génère du service et du négoce de pièces de rechange puis la distribution de matériels d’occasion quand ces matériels quittent le parc Newloc. En étant présents à chaque étape de la vie du matériel, nous en contrôlons le cycle et alimentons nos différentes structures avec les marques que nous distribuons.

Étiez-vous intéressé par le rachat de la concession JCB Grand Paris ?

Le dossier ne nous a pas été proposé. Du fait de la proximité avecTipmat, qui se développe bien en Île-de-France, je préfère éviter une concurrence trop frontale entre nos filiales. Cela peut s’avérer parfois, contreproductif. De plus, la région parisienne est très difficile en raison des coûts sociaux élevés, du personnel encore plus volage qu’ailleurs, des conditions de déplacements et de la difficulté à implanter des agences adaptées à nos métiers. Pour la distribution comme pour la location, je suis plus attaché à nos territoires ruraux. À titre personnel, la province a ma préférence pour y développer les activités du Groupe.

Certains de vos confères parlent d’hybridation des métiers de la filière Matériel ? Partagez-vous cette analyse ?

J’observe certains de mes collègues développer au sein d’une même structure, voire dans le même immobilier, ces métiers de distribution, location et réparation. Ce n’est pas notre stratégie. Je pense que pour performer dans un métier, il faut être spécialiste. La location, qui peut apparaître « de loin », facile et rentable, demande une réelle expertise. Il en est de même pour l’ensemble des métiers que nous exerçons au sein de filiales spécialisées : Topaz pour les pièces de rechange, M3, Propel, Tipmat, Manuland et PACA Ventes pour la distribution. Cela n’empêche pas de développer les synergies entre les différentes entités.

« Je pense que pour performer dans un métier, il faut être spécialiste »

Cela vaut également pour les activités de reconditionnement ?

Cette activité est l’essence même de la société Codimatra que nous avons rachetée en 2007. La remise en état de matériels, qui est habituellement l’affaire des constructeurs, est une activité complexe, souvent longue, qui mobilise beaucoup de savoir-faire et qui s’avère coûteuse. Elle ne peut s’envisager qu’à une échelle industrielle. J’observe que nos clients sont moins enclins à recourir à cette solution car ils ont pris l’habitude de disposer de matériels récents avec plus de technologies et une meilleure efficacité énergétique.

Avec votre vision de l’Automobile, quel est l’avenir de la distribution dans les TP à moyen terme ?

Je pense que l’Automobile a 10 ans d’avance sur le Poids Lourd qui lui-même, a 10 ans d’avance sur le Matériels BTP. Je ne crois pas en l’électrification complète des parcs de matériels de TP. D’un point de vue technique et financier, cela n’a pas de sens d’installer des batteries à partir d’une certaine puissance requise ou d’un certain tonnage. Pour les gammes lourdes, peut-être passerons-nous directement à l’hydrogène à injection directe comme le prévoit JCB. Cela paraît être une solution viable, encore faut-il disposer d’hydrogène « vert », accessible en quantité abondante et à un prix correct, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Quelle que soit la filière, la disparition programmée du moteur thermique n’est pas une bonne nouvelle pour nos ateliers ni pour les ventes de pièces de rechange. Les trajectoires de décarbonation des matériels de chantier étant très sensiblement différentes de celles des voitures et des camions, il est vraisemblable que des exemptions permettront de conserver plus longtemps les motorisations thermiques sur le chantier. Cela, d’autant plus que pour certaines puissances et/ou types de machines, aucune alternative n’existe et que la question du surcoût à répercuter n’est toujours par réglée. Quoi qu’il en soit, nous continuerons, comme nous l’avons toujours fait, à nous adapter.

À vous adapter ou à vous transformer ?

Les systèmes périphériques, dont l’hydraulique, seront toujours consommateurs de SAV. Que ce soit l’électrique ou d’hydrogène, je ne pense pas que le modèle économique du distributeur soit fondamentalement changé. Certes, il vendra moins de machines et donc moins de pièces, mais, idéalement, leur coût unitaire étant supérieur, si le distributeur parvient à maintenir son taux de marge en pourcentage de la valeur, les choses finiront par s’équilibrer. J’ajoute, que contrairement à l’Automobile et au Poids lourd, dont les échéances sont à 5 et 10 ans, le sujet de la décarbonation complète des matériels de TP n’est pas pour moi un sujet d’inquiétude. Nous avons vingt ans pour nous y préparer.

Est-ce que, comme dans l’Automobile aujourd’hui, les constructeurs chinois seront, demain, les « game changer » du matériel de TP ?

Nous avons été approchés par un certain nombre, mais nous n’avons pas donné suite. Ce serait prendre un risque vis-à-vis de nos commettants que de prendre une marque chinoise en distribution. Ce serait mettre en péril notre stratégie telle que nous l’avons définie, si une de nos cartes majeures résilie son contrat. Dans les métiers de la distribution des matériels TP, je pense qu’il faut respecter une forme de loyauté vis-à-vis des constructeurs. La distribution est un métier qui s’inscrit dans la durée. Il faut une dizaine d’années pour implanter une marque, constituer un parc, en assurer le service et, in fine, fidéliser le client. C’est pour cela que nous avons toujours fait le choix de marques Premium. Cela ne me paraît pas possible avec les Chinois, qui sont opportunistes. En outre ils pratiquent le dumping avec l’aide de leur gouvernement. Ce que nous voyons dans l’automobile actuellement, doit nous alerter afin que cela ne se reproduise pas dans le domaine des matériels de chantier.

« La distribution est un métier qui s’inscrit dans la durée »

Vous pensez que l’Europe doit être plus vigilante ?

Nous avons clairement fait preuve de naïveté. J’espère que contrairement à ce qui s’est passé dans l’Automobile, l’Europe saura réagir et défendre son marché intérieur. La perte de valeur et d’emploi, à l’échelle européenne doit nous faire réfléchir et surtout agir.

Votre opinion est-elle différente pour la location ?

Considérant les difficultés de certains de nos fabricants à nous livrer au cours des deux dernières années, Newloc a fait l’acquisition de quelques dizaines de mini-pelles Sany pour Newloc. Nous serons attentifs aux retours de nos clients.

Comment appréhendez-vous la transformation numérique de vos métiers ?

Je crois beaucoup au digital comme élément de différenciation vis-à-vis du client. Chez Newloc, une application mobile permet de commander en ligne, de suivre la livraison de son matériel en temps réel, d’accéder à la documentation technique en flashant un QR code ou encore d’accéder à ses factures en direct. C’est une réelle valeur ajoutée pour l’expérience client. J’ai la faiblesse de croire que face à un concurrent qui n’offrirait pas un tel service, le client exprimera sa préférence pour Newloc qui dispose d’un site particulièrement abouti et qui enregistre plus de 1 500 connexions chaque jour.

« Je crois beaucoup dans le digital comme élément de différenciation vis-à-vis du client »

Parvenez-vous à valoriser la marque employeur d’un Groupe patrimonial auprès des jeunes en particulier ?

Nous nous adaptons à notre époque et sommes toujours à l’écoute de nos collaborateurs. Nous savons accepter la semaine de quatre jours dans nos techniciens automobiles travaillant dans les métropoles. Nous savons aussi proposer plusieurs journées de télétravail pour nos postes administratifs. Soyons réalistes : aujourd’hui, la main-d’œuvre est rare et le pouvoir de négociation est plutôt du côté des salariés. Si nous ne faisons pas un minimum d’efforts, nous ne pourrons pas faire face aux 1 000 recrutements qui sont programmés cette année pour l’ensemble du Groupe.

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