Depuis une décennie, le secteur du sciage et du carottage œuvre à améliorer la sécurité de ses chantiers. Panorama des évolutions en cours, entre formation et matériels.

Sciage et carottage : scier en conscience

Dans le monde de la construction, les métiers du sciage et du carottage comptent parmi les professions les plus spectaculaires. Sectionner d’énormes morceaux de bâtiment que rien semblait pouvoir ébranler, si ce n’est des explosifs, difficile d'imaginer un quotidien plus singulier. Pour le novice, cette disciple éveille autant l’enthousiasme que l’angoisse. Tailler des blocs de plusieurs centaines de kilos en un rien de temps avec des lames recouvertes de diamants, voilà une opération qui n’est pas sans dangers. Les spécialistes de ce domaine en sont bien conscients. À l’image de tout le secteur, leur approche du risque évolue constamment. L’une des pièces essentielles de cette démarche, la certification de qualification professionnelle (CQP) de scieur et carotteur de béton fêtera cette année sa dixième session de certifiés. Le Syndicat des entreprises de déconstruction, dépollution et recyclage (Seddre) a créé cette formation en 2012 afin que la filière monte en compétence. Elle est aujourd’hui délivrée par le centre CLPS de La Bouëxière, près de Rennes. « Organiser des formations en interne reste compliqué. Nous sommes souvent pris par d’autres tâches, analyse Armand de Montleau, dirigeant de TNS BTP. Le CQP nous apporte un site équipé pour cette activité et un formateur professionnel. » Les treize semaines de cours sont réparties en huit mois. Elles alternent avec des périodes en entreprise. Cet enseignement s’adresse aux débutants qui ne connaissent pas ces métiers. « Le contenu a été conçu par plusieurs entrepreneurs du secteur, explique David Potiron, président-directeur général de Scidiam. Les constructeurs de matériels participent au projet et nous fournissent des équipements derniers cris. » Les étudiants sont évalués au moyen d’un examen sur table, d’exercices pratiques, d'un entretien et d’un carnet d’évaluation. « Des représentants du Seddre participent toujours au jury. C’est l’occasion d’une vraie discussion avec le formateur », précise Nathanaël Cornet-Philippe, secrétaire général du syndicat.

Au fil des années, les connaissances transmises se sont enrichies. Le CQP comporte des modules sur les gestes et postures de travail ou la structure des bâtiments. Des habilitations ont été ajoutées : travail en hauteur, électrique et échafaudage. « De la sorte, les certifiés sont opérationnels dès la fin de la formation », indique Armand de Montleau. Depuis l’inscription des travaux exposant à la poussière de silice cristalline alvéolaire dans la liste des procédés cancérogènes, le sujet est abordé. La certification a également été réformée l’année dernière afin de répondre aux exigences de France Compétence. Elle est enregistrée auprès de l’établissement depuis le 25 avril 2022. Ce diplôme commence à être reconnu en dehors du périmètre des spécialistes. Il est notamment pris en compte dans le cahier des charges des labels Qualibat. Pour le moment, avec un seul site, l’offre reste cantonnée dans l’ouest de l’Hexagone, bien que des formations plus courtes soient possibles au sein des entreprises. « Nous cherchons des centres à l’Est, en région parisienne et autour de Clermont-Ferrand pour accueillir d’autres sessions du CQP. Elles ouvriront peut-être pour la rentrée prochaine », indique David Potiron.

Les avantages de la légèreté

Le directeur général et Arnaud de Montleau s’accordent sur le fait que la diffusion des savoirs, que ce soit par le CQP ou par d’autres canaux, a contribué pour beaucoup à l’amélioration des pratiques. L’habilitation de travaux en hauteur apporte les fondamentaux de la sécurité dans une famille de situations à haut risque. L’apprentissage des gestes et des postures correctes a changé les manières de scier. « Nous découpons par exemple des blocs plus petits qu’à mes débuts en 2005 », remarque Arnaud de Montleau. Les nouvelles générations, averties durant leurs études, sont plus vigilantes sur ces questions. « Ils sont beaucoup plus au point en matière de sécurité, mais ils veulent prouver leurs compétences, ce qui peut les amener à commettre des erreurs », nuance le responsable. En cas de situation dangereuse, ses équipes remplissent d’une fiche de presque accident et réunissent les personnes concernées. Ces différents apports ont provoqué des réflexions autour de la manutention. Les sociétés investissement plus volontiers dans des systèmes qui limitent les dangers au transport et évitent sans doute quelques troubles musculo-squelettiques. Scidiam possède un diable monte-escalier électrique capable de transporter des blocs de 300 kg. TNS BTP s’est procuré un Track-O. Ce chariot sur chenille, distribué en France par Kavik, intègre un moteur électrique. Il peut se déplacer dans un escalier ou une surface inclinée avec de lourdes charges.

En ce qui concerne les scies et les carotteuses, le remplacement de la mécanique hydraulique par des moteurs électriques a allégé les machines. « Ce point a bien évolué, même si les équipements réclament un peu plus de maintenance que les modèles hydrauliques, expose David Potiron. Les éléments pèsent maintenant de moins de 20 kg. Je ne pense pas que les fabricants pourront aller beaucoup plus loin. Les outils actuels montrent déjà quelques limites. » Selon Nathanaël Cornet-Philippe, « les carters sont moins retirés que par le passé ». Les compagnons avaient tendance à se passer de ces capots de protection quand ils les gênaient. Ce qui a par exemple amené le constructeur Tyrolit à concevoir un nouveau système pour ces dernières scies murales. La partie centrale du carter doit être en place pour que l’eau puisse suivre le circuit normal de refroidissement de la lame. Si elle n’est pas installée, le liquide ressort dans le vide. En parallèle, les consommables ont évolué. Les lames ont gagné en polyvalence, alors que les prix ont baissé. Les soudures laser procurent une meilleure tenue. Cependant, ces avancées ne vont pas sans certains bémols. « Les tôles des couronnes peu épaisses sont parfois impossibles à resegmenter, constate David Potiron. La qualité peut aussi varier en fonction de la provenance de l’acier. Une couronne chinoise ne donne pas toujours les mêmes résultats qu’un équivalent européen. »

Question de budget

Par ailleurs, le développement de l’électronique embarqué concourt à minimiser les dangers. Les fabricants ont ajouté des télécommandes à la plupart de leurs produits. Elles éloignent l’opérateur de la zone d’action. Les systèmes d’assistance, comme le Cut Assist d’Hilti, ont fait leur apparition dans les carotteuses et depuis peu chez les scies. Ils préfigurent probablement le futur des outils diamantés. Le fonctionnement de la machine est en partie automatisé. Elle détecte la surface du mur, régule de débit d’eau et la vitesse, puis arrête le moteur une fois la tâche terminée. Les robots de déconstruction constitueraient l’étape suivante. Quelques modèles dotés de scies sont de temps à autre visibles sur les chantiers. Si ces engins répondent à toutes les exigences de sécurité et de pénibilité, ils demeurent très coûteux. Les budgets autorisent rarement ce type d’extra. « Il faut un chantier suffisamment long pour justifier son utilisation », résume David Potiron. « En général, nous intervenons pour des sciages ponctuels, complète Arnaud de Montleau. Les opérations durent un mois ou un mois et demi. » Et la qualité des prestations est encore difficile à valoriser auprès des donneurs d’ordre. « Nous intervenons la plupart du temps comme sous-traitant. Le prix reste le nerf de la guerre », relève David Potiron. « Ou alors c’est une valorisation sur le long terme. Si le chantier se passe bien, le client fait de nouveau appel à vos services », précise Arnaud de Montleau. Au-delà des tarifs, l’homme garde une longueur d’avance sur le robot, de par sa polyvalence. « La robotisation résoudrait nos problèmes de recrutement, note David Potiron, mais ce n’est pas si simple de remplacer un opérateur. » Dans le domaine de la manutention, les exosquelettes pourraient peut-être apporter un renfort aux articulations des compagnons. Loin de l’image insufflée par la science-fiction, chaque modèle est aujourd’hui conçu pour assister le travailleur dans une tâche spécifique. Il faudrait un système qui s’adapte aux mouvements réalisés par le scieur ou le carotteur. La résistance aux conditions de chantier sera un facteur essentiel. L’Institut national de recherche et de sécurité rappelle en outre que ces équipements, encore peu étudiés, pourraient provoquer d’autres désordres musculo-squelettiques.

Un salon 24 carats

À l’occasion des prochaines épreuves du CQP de scieur et carotteur de béton, le centre CLPS de La Bouëxière, en Ille-et-Vilaine, accueillera le 27 avril un salon consacré à cette profession. Les principaux fabricants du secteur exposeront leurs produits : Hilti, Husqvarna, Tyrolit ou Carbodiam. Le distributeur Kavik et ses systèmes de manutention originaux seront également de la partie. « C’est une façon d’ouvrir les entreprises aux méthodes enseignées dans cette formation, explique Nathanaël Cornet-Philippe, secrétaire général du Syndicat des entreprises de déconstruction, dépollution et recyclage, co-organisateur de l’événement. En outre, la présence des fournisseurs offre un panorama complémentaire sur les technologies existantes. Nous profiterons d’ailleurs de l’événement pour remettre un prix de l’innovation. »

Première percée

Si Husqvarna est bien connu pour ses robots de chantier, Hilti était jusqu’à présent resté à l’écart de cette niche. Au vu des préoccupations montantes en matière de prévention et de sécurité, le constructeur a finalement franchi le pas en 2020 avec le Jaibot. Cette machine consiste en un bras articulé fixé à un module sur chenille. Pour l’heure, son rôle est de forer des trous pour l’installation des réseaux électriques ou des conduits d’eau. Une fois positionné, le matériel réalise seul les perçages renseignés par l’exploitant dans un plan numérique. Son avancement est enregistré dans les serveurs d’Hilti. La marque a annoncé l’année dernières une série d’amélioration. Outre les plafonds, le Jaibot peut désormais s’attaquer aux murs en béton d’une hauteur comprise entre 1,2 et 4,8 m. Son dispositif de mesure est plus précis. Il peut aussi recevoir un aspirateur à poussière plus puissant que son système standard. Parions que l’industriel n’en restera pas là.

Les nouvelles facettes de l’innovation

La chasse aux kilogrammes touchant à ses limites, les constructeurs de matériels de sciage regardent aujourd’hui vers d’autres horizons, tels que les batteries ou l’optimisation des disques.

Après plusieurs années de développement, la question du poids semble plus ou moins réglée dans le domaine des outils de sciage lourd. Les machines ont atteint un stade où gagner encore quelques grammes sera difficile. Les fabricants se sont tournés vers de nouveaux objectifs, plus variés que par le passé. Les batteries ont par exemple fait leur irruption sur le marché en 2022. Husqvarna Construction a dévoilé la K1 Pace, une découpeuse déclinée en deux modèles, l’un pour les disques 300 mm, l’autre pour les 350 mm. L’industriel avance plusieurs arguments en faveur de cette nouvelle source d’énergie : l’absence d’émissions, moins de bruits et moins de vibrations. Les acheteurs pourront choisir entre deux batteries, 4 ou 8 Ah de capacité. La marque compte sortir d’autres produits utilisant ces accumulateurs. Hilti a lui choisi de lancer une gamme électrique d’un seul coup. L’industriel a présenté début 2022 Nuron, son dispositif de batterie de 22 V déjà compatible avec 70 outils, dont la scie DSH 600-22, 300 mm de diamètre de disque. Là aussi, plusieurs capacités sont disponibles : 2,6 Ah, 4 Ah, 8 Ah ou 12 Ah. Le manufacturier met avant le soin particulier porté à la conception. Les cellules qui composent la batterie sont enserrées dans une structure qui dissipe mieux la chaleur que ses prédécesseurs. L’utilisation de câbles tressés au niveau des fiches et des interfaces réduit aussi les échauffements. Le boîtier en résine époxy est doté d’un pare-chocs qui évitera des casses lors de chute. Dans le segment des scies murales, Hilti a amorcé l’introduction du Cut Assist, sa technologie d’assistance à l’opérateur déjà disponible dans le carottage. Une fois lancé, l’appareil détecte la surface puis régule seul la vitesse de coupe et le débit d’eau. Sa tâche terminée, il arrête le moteur.

Un moteur, des outils

De son côté, Tyrolit s’est concentré sur la préparation de sol et le petit outillage ces derniers mois. Le manufacturier compte sur ces références haut de gamme pour séduire les exploitants, notamment la scie murale WSE1621. Cette machine se distingue par le faible poids de ses composants, 23 kg pour le plus lourd. Son moteur et sa télécommande peuvent aussi être raccordés à la scie à câble WCU17 et le réducteur de carottage DGB1000. Pour la découpe de grands ouvrages, le groupe commercialise depuis 2021 les scies à câbles WCE18 (18 m de câble) et WCE30 (30 m de câble). Ces matériels sont dotés de systèmes de variation de vitesse de 0 à 25 m/s. La tension du câble est ajustable au moyen d’un dispositif pneumatique.

Les premiers mois de 2023 ont été marqués par la sortie d’une lame de scie murale, la WSL-Ultra Fast Cut. Elle se monte sur les machines de moins de 20 kW électrique ou hydraulique. Cet accessoire est particulièrement adapté pour les bétons avec un haut taux d’armature et peu d’agrégats. Il bénéficie de la technologie Tyrolit Grain Distribution. Le manufacturier dispose ses diamants en ligne régulière sur la surface des segments, ce qui contribue à accroître la vitesse et l’efficacité de la coupe. Dans la même veine, Husqvarna a également revu les caractéristiques de sa série Vari-Cut qui rassemble des disques de découpeuses. L’industriel a augmenté la taille des segments, la durée de vie de la vitesse de coupe s'en trouvent améliorée. Les indicateurs visuels d’usure, de profondeur de coupe et de saillie ont été modifiés afin d’être plus intelligibles.

Gestion maximale

Autre enjeu, les services se sont étoffés. Hilti s’appuie sur le logiciel de gestion On!Track qui répertorie les outils d’une entreprise. Le suivi du stock peut être effectué au moyen de QR codes à scanner ou d’émetteurs Bluetooth accompagnés d’une borne qui peut capter leurs signaux. Le Fleet Management va plus loin. Hilti fournit une flotte d’équipements à un exploitant contre un loyer mensuel. L’industriel s’occupe de la maintenance et des réparations. Chez Husqvarna, la télématique est rassemblée sous l’appellation Fleet Services. Là aussi, des émetteurs Bluetooth servent à la localisation des produits. Une plate-forme web rassemble les données. Le contrat d’entretien Upcare donne accès à un suivi par les équipes du constructeur. Ils préviennent les utilisateurs quand une maintenance est nécessaire. Un peu en retard sur ces confrères, Tyrolit a mis les bouchés doubles. Son offre Moove Smart a connu une grosse avancée en 2022. Le fabricant a ajouté à son offre des émetteurs GPS pour les outils ou les véhicules et des émetteurs Bluetooth avec leurs bornes.

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