
Manutention et levage en fondations spéciales : comment les chantiers du Grand Paris ont transformé les parcs
« Derrière le terme générique des fondations spéciales se cache une grande diversité de travaux nécessitant des opérations de levage et de manutentions très variées selon la taille et le poids des éléments, rappelle Benjamin Bryon, directeur Matériel Sefi-Intrafor, Franki Fondation et SAML. Cela commande de recourir à des solutions adaptées à chaque configuration. Selon la nature des opérations à réaliser, il s’agira de matériels détenus en propre ou de matériels loués, l’entreprise ne pouvant pas tout posséder. »
Considérant la diversité des moyens matériels à mettre en œuvre et la multiplicité des chantiers, disposer de l’ensemble de la panoplie est impossible : seuls les matériels dits « cœur de métier » sont détenus par l’entreprise. Il s’agit majoritairement, hors matériels de levage, des matériels qui concourent à l’exploitation. Dans le domaine des foreuses de micropieux ou de pieux, un treuil de service permettra la manutention des cages d’armatures ou les tubes de forage. Ces outils sont utilisés pour des opérations répétitives avec câbles. Quand ce n’est pas l’outil de forage lui-même qui assure les opérations de levage, l’exploitant a recours à des moyens additionnels qui vont du chariot élévateur tout terrain à déport de charge à la grue sur chenilles à flèches treillis, ces dernières étant configurées à la technique et aux éléments à lever. Si la priorité est la sécurité des compagnons et de tous les intervenants sur le chantier, Spie batignolles fondations veille aussi à assurer une efficacité opérationnelle aux exploitants. Afin d’atteindre ces deux objectifs, une démarche structurée a été définie, qui tient compte de l’organisation du service Matériel de l’entreprise, de ses moyens ainsi que de ses capacités d’investissement et qui s’articule autour de deux axes : les matériels détenus en propre et le recours à la location. La rationalisation des fournisseurs fait également partie de cette stratégie, facilitant le passage d’une grue à l’autre des opérateurs. Toutes les grues de manutention à flèche treillis sont acquises auprès de Sumitomo. Il s’agit de matériels simples dans leur conception qui affichent un haut degré de fiabilité. Les grues à flèche télescopique sans brochage équipées de deux treuils sont fournies par Sennebogen pour sa capacité à opérer en « pick-up and carry » et la possibilité de télescoper en charge. Par sa polyvalence, sa flexibilité et sa facilité de déploiement, ce matériel affichent le plus fort taux d’utilisation. « Nous concentrons nos ressources sur les matériels directement liés à notre cœur d’activité pour des raisons d’enveloppes budgétaires et d’organisation interne, avec le dépôt central implanté en région parisienne où sont centralisés nos moyens matériels, indique Richard Lohier, directeur du service Matériel chez Spie batignolles fondations. Les manutentions de charges légères jusqu’à 3,5 t à des hauteurs de 6 m maximum sont réalisées avec des chariots élévateurs tout terrain à déport de charge couverts par la location et sourcés localement. A contrario, les manutentions « lourdes » mobilisent des grues de différentes capacités, la catégorie du matériel étant sélectionnée, par exemple, à partir de la taille des parois moulées à forer. »
Adéquation
Schématiquement, ce sont les palplanches et les cages d’armature qui vont déterminer le choix de la grue à travers deux valeurs : la hauteur de l’élément à soulever et son poids. En relation avec les services Travaux de l’entreprise, une étude d’adéquation est donc réalisée au cas par cas en analysant les différentes situations de levage qui vont de se présenter sur le chantier. Parmi les critères intégrés à la réflexion : la distance entre la grue et la charge, le poids et la hauteur de levée. Une fois ces données renseignées, la grue la plus adaptée sera sélectionnée au sein du parc de l’entreprise. Le cas échéant, le recours à des prestataires spécialisés dans les moyens de très forte capacité (soit des grues à flèches treillis de plus de 150 t) sera nécessaire. Comme le signale Richard Lohier, « le parc permet de répondre à tous les besoins habituels de parois moulées à l’exception de ce qui s’est pratiqué sur les chantiers des gares du Grand Paris Express et qui a conduit à la mise en œuvre ponctuelle de grues à flèche treillis pouvant lever jusqu’à 250 t. » Des matériels qui, travaillant en deux postes, affichent mécaniquement des taux d’engagement supérieurs, soit près de 200 heures par mois, contre une centaine d’heures pour une grue à flèche treillis de 150 t. Comme le souligne le directeur Matériel de Sefi-Intrafor, « les chantiers du Grand Paris Express ont changé la donne en matière de rentabilité du matériel. Habituée à une visibilité de court à moyen terme, avec un carnet de commandes n’excédant jamais 10 à 12 mois, l’entreprise s’est retrouvée avec quatre années d’activité. Cette situation inédite nous a conduits à investir dans certains matériels que nous louons habituellement, sachant que le retour sur investissement serait accéléré. C’est ainsi que nous avons acquis trois grues sur chenilles à flèche treillis de 160 t auprès de Liebherr, dédiées aux opérations de levage sur les lignes 14, 15 et 16 . Avec le recul, nous aurions pu monter jusqu’à cinq unités. L’investissement était certes conséquent mais nous disposions d’une garantie de reprise de la part de du fournisseur qui sécurisait le risque. En outre, cette typologie de grues étant très recherchée sur le marché de l’occasion et valorisée quand elles ont fait l’objet d’un suivi technique constant, leur revente a été facile à des prix très intéressants. » De fait, près de la moitié du parc dédié aux chantiers du Grand Paris, soit huit grues, a été déflottée afin de pouvoir redémarrer la seconde phase avec de nouveaux matériels.
Telescopique
« Les opérations de manutention se font majoritairement en recourant à la location extérieure, rapporte Benjamin Bryon. Le marché est bien structuré, les matériels sont disponibles en quantité et les niveaux de prix pratiqué par les réseaux nationaux intéressants. Il s’agit de moyens au catalogue. » De fait, les investissements seront fléchés vers des matériels plus spécifiques qui font la valeur ajoutée des entreprises de fondations spéciales. Il s’agit de grue sur chenilles équipées de flèche à treillis qui ont la particulièrement d’être fortement motorisées et d’afficher des capacités de levage importantes. La plupart offrent une réelle polyvalence, pouvant également être équipées de bennes preneuses. Explication : cela permet d’optimiser leur utilisation, un même porteur étant utilisé pour deux opérations distinctes. Comme le confirme Benjamin Bryon, « la possibilité de faire à la fois de la manutention et du forage avec la même machine tend à réduire le nombre de matériels déployés, ce qui, sur certains sites, est déterminant. En outre, la machine étant plus sollicitée, son taux de rotation est meilleur et son retour sur investissement est accéléré ». Un avantage majeur au regard des montants engagés qui, pour des matériels de taille intermédiaire, dépasse vite le million d’euros. Sur un chantier de fondations spéciales classique, Spie batignolles fondations s’emploie à rationaliser les moyens de levage en mobilisant une grue pouvant, suivant la place disponible, gérer deux ateliers de forage. Selon l’organisation mise en place in situ, deux ateliers de forage peuvent travailler en simultané. Pour assurer la production sur les chantiers du Grand Paris, l’entreprise a souvent mobilisé deux grues sur un atelier. Aux côtés d’une grue à flèche treillis « massive » de 200 t voire plus, dédiée aux levages lourds, une seconde grue de capacité nettement inférieure (50 t) et plus mobile est affectée aux manutentions annexes. Un véritable valet de chantier, chargé de la préparation des cages d’armature et d’autres opérations. « La grue à flèche télescopique est particulièrement bien adaptée à ces applications au regard des nombreux avantages qu’elle offre, relève Richard Lohier. Outre la possibilité de relever la flèche, avantage déterminant en cas de restrictions de l’enveloppe de travail (toit virtuel, portée limitée… ), ce type de grue s’adapte rapidement à la disponibilité de surface sur le chantier avec des capacités suffisantes pour réaliser toutes les préparations au sol. » Leur coût d’amenée est compétitif. L’exploitant apprécie la possibilité de translater en charge et la facilité de transport, en un colis sans aucun démontage du moufle ou du contrepoids. De fait, ces grues permettent de s’affranchir du contrôle après montage et donc d’être plus rapidement opérationnelles. Elles permettent de travailler plus efficacement sur les travaux de pieux, soumis à une pression forte sur les prix. Si une pelle hydraulique sur chenilles lève une cage d’armature de petite et moyenne dimensions (jusqu’à 10 à 12 m), la grue à flèche télescopique va permettre de gagner en rapidité et en efficacité. Pour autant, cette typologie de grue ne peut pas prétendre se substituer aux grues à flèche treillis, notamment sur les retournements de cages d’armature. « Les grues à flèche télescopique de 50 t tendent à cannibaliser le travail des grues à flèche treillis de même catégorie qui sortent de moins en moins, constate Richard Lohier. Quand le chantier a le choix entre les deux types de grue, sa préférence va aux premières. Les grues à flèche télescopique, très complémentaires aux grues à flèche treillis, permettent de mieux travailler de manière économique sur les chantiers de pieux. » Fort de ce constat, le service Matériel travaille à la sortie des grues à flèche treillis de 50 t de son parc. Dans les catégories supérieures, la grue à flèche treillis conserve ses propriétés initiales dès lors qu’il faut lever des charges lourdes avec des flèches rigides et robustes. Quel que soit le moyen mis en œuvre, une attention particulière devra être portée à la préparation du chantier, en particulier dans le domaine de la capacité de portance de la plateforme - bétonnée de préférence - sur laquelle la grue va travailler.
Empreinte carbone
Dans un métier de niche, l’offre est aux mains de quelques fabricants (Bauer, Liebherr, Sennebogen, Soilmec…) qui interviennent à la fois dans le domaine des fondations et de la manutention. Une réponse aux exploitants, qui cherchent à rationaliser leur parc en sélectionnant des fournisseurs capables, certes, de concevoir et de fabriquer des matériels spécifiques, mais aussi et surtout de délivrer un service après-vente premium. « Chez Sefi-Intrafor, nous avons choisi une seule marque capable de couvrir l’ensemble de nos besoins. Les matériels sont chers à l’achat mais ils conditionnent la réalisation des travaux et le succès du chantier, révèle Benjamin Bryon. La qualité de service, qu’il s’agisse de disponibilité de pièces ou de délais d’intervention de Liebherr, partout sur le territoire, reste supérieure à ses concurrents. » Dans le cas du forage d’une paroi moulée, une immobilisation prolongée du matériel est trop pénalisante, la capacité à déployer une machine de secours généralement impossible, tant pour des raisons pratiques (disponibilité, adéquation...) que financières (coûts de transport…). Outre le respect de son cahier des charges techniques (hauteur, capacité de levage, puissance, couple, vitesse du treuil, dimensions…), l’exploitant est vigilant sur les conditions d’intervention du constructeur en cas de pannes. Depuis quelques années, l’efficience énergétique de ces machines est devenue un paramètre important. « La consommation, indépendamment de type d’énergie, devient de plus en plus déterminante. La course à la puissance installée observée jusqu’en 2018 et 2019 a cédé la place à la course aux économies de carburant, relève Benjamin Bryon. Nous sommes de plus en plus interrogés sur les mesures prises pour réduire l’empreinte carbone sur nos chantiers. » Les critères technologiques de choix dépendent des puissances embarquées. Schématiquement en deçà d’une puissance brute de 75 kW, les motorisations électriques sur batteries s’avèrent les plus efficaces, au regard de l’efficacité énergétique et de l’intensité d’usage. Au-delà de ce seuil, les alternatives sont plus proches des « concepts machines » ou des pré-séries. « Nous nous intéressons aux matériels électriques mais raccordées au réseau, sous réserve d’anticiper leur mise en œuvre sur le chantier et moyennant quelques travaux préparatoires pour sécuriser le raccordement, rapporte Benjamin Bryon. Intervenant sur des chantiers à granulométrie très variable, dont la durée peut changer de quelques jours à plusieurs mois, il faut prévoir l’alimentation très en amont du démarrage des travaux afin de sécuriser la ressource et la puissance nécessaire. » Un préalable difficile à formaliser dans un marché de sous-traitance en cascade dont les délais d’exécution sont toujours plus contraints.
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