Les entreprises de fondations spéciales et de sondage emploient des systèmes de télématique depuis une décennie, un temps suffisant pour déceler les avantages et les limites de ces technologies.

Dans le secteur des engins de chantier, la télématique compte parmi les axes de développement pour la décennie à venir. Peu de nouvelles technologies à attendre, mais plutôt une adaptation et une généralisation des possibilités offertes par les derniers moyens de télécommunication. En la matière, les fabricants pourront peut-être s’inspirer des machines destinées aux opérations de forage et de fondations spéciales. Elles font déjà un large usage des capteurs et des interfaces numériques. Ce milieu entretient un rapport plus étroit avec la métrologie que les autres spécialités des travaux publics. Travailleur aveugle, l’opérateur d’une foreuse ne peut se fier qu’à ses instruments de mesure. Et les autres parties prenantes du chantier aussi. Les entreprises de fondations, les bureaux d’études géotechniques, les maîtres d’œuvre et les maîtres d’ouvrage, tous reconstituent le sol à partir des chiffres fournis par des appareils.

Ce souci de la mesure explique sans doute l’intérêt précoce de ces sociétés pour les technologies de l’information et de la communication. Au début des années 2010, Soletanche Bachy ajoutait déjà des cartes SIM à ses systèmes d’acquisition. Les données sont ainsi transférées par le biais du réseau de téléphonie mobile à un serveur web. À quelques secondes près, n’importe où dans le monde, un ingénieur peut lire les mêmes informations que le foreur dans sa cabine. « En cas de problème, tout va plus vite, aussi bien notre intervention que le partage de l’information avec le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre. Par exemple, si vous avez besoin d’un forage géotechnique pour constater un désordre, il peut être réalisé très rapidement », analyse Marie Lebreton, qui a pris part à cette évolution. Aujourd’hui, ingénieure commerciale pour la société Sixense Soldata, qui œuvre dans la surveillance des terrains et des ouvrages, elle a été ingénieure travaux (de 2008 à 2015) puis ingénieure commerciale (jusqu'en 2019) de Soletanche Bachy. Elle a participé à la recherche et développement du groupe entre 2011 et 2018.

À la même époque, le bureau d’études Ginger CEBTP opte aussi pour la communication immédiate. Ce choix s’accompagne d’une recherche de nouvelles formes d’accords commerciaux. Le Pôle sondage de la société compte environ 100 machines et emploie 220 personnes. « Il y a une très forte volonté de l’entreprise de garder cette activité de sondage comme partie intégrante de sa chaîne de valeur : prélever, analyser, diagnostiquer, recommander », précise Jean-Paul Mourier, directeur du Pôle. Avec un tel parc, le budget consacré à la métrologie s’avère conséquent, d’autant plus quand la technologie change de plus en plus en vite. « Racheter à chaque fois l’ensemble de ces appareils représentait un investissement conséquent et répétitif. De même, la maintenance des logiciels internes coûtait très cher. En 2005, nous avions déjà le projet de passer de l’achat au service. Dans cette optique, nous avons signé un contrat-cadre avec la société Jean Lutz. »

Ginger CEBTP continue d’acquérir ses systèmes de mesure. Elle en possède aujourd’hui 80 de marque Jean Lutz. Mais le fabricant assure leur mise à jour et leur maintenance. Il fournit aussi un logiciel de traitement en réseau. Celui-ci réceptionne les données de forages et des essais pressiométriques envoyés par le réseau de téléphonie mobile. L’exploitation de ces éléments, puis l’édition des rapports sont automatiques. « Nous aimerions avoir un contrat de service complet, remarque le directeur. Mais les volumes de vente dans le monde des sondages ne semblent pas encore compatibles avec ce modèle. »

Regards omniscients

Depuis que ces canaux de transmission sont ouverts, la quantité d’informations qui y transitent n’a cessé de croître. Chez Soletanche Bachy, des mesures portant sur les composants de l’engin sont venues compléter les enregistrements du forage. L’entreprise en a tiré une meilleure compréhension des casses. « Le Service machines peut intervenir à distance sur la machine et envoyer un mécanicien si nécessaire. Le fabricant peut aussi établir un diagnostic en direct. C’est autant de moyens de limiter les temps d’arrêt », ajoute Marie Lebreton. Jean-Paul Moutier espère bientôt obtenir des renseignements similaires. « Dans ce domaine, les engins de fondations spéciales sont un peu plus avancés que les machines destinées à la géotechnique. Nous sommes intervenus sur des chantiers en Roumanie. Nous pouvions contrôler en temps réel les forages, mais il était difficile de suivre à distance la maintenance du matériel. »

Autre phénomène, les progrès de l’informatique donnent la possibilité d’archiver un grand nombre de mesures à moindre coût. Les entreprises réfléchissent maintenant aux savoirs qu’elles peuvent tirer de ces bases de données. Soletanche Bachy a entre autres vérifier l’adéquation de ses machines avec les tâches qu’elles devaient effectuer. Ses équipes ont également expérimenté des méthodes en vue de calculer en temps réel la portance au droit d’un pieu en cours de construction. « Pour les pieux refoulés ou les pieux battus, nous avons obtenu de bons résultats, explique Marie Lebreton. Pour les pieux forés, en revanche, il y a de nombreux paramètres à prendre en compte. Le développement d’un modèle se révèle donc plus difficile. » Le groupe étudie aussi la question de l’assistance à la conduite.

Au-delà de ces recherches internes, la croissance de la donnée soulève la question de son partage et de sa mise en relation avec des informations provenant d’autres sources. Sixense Soldata a notamment ouvert sa plate-forme web, destinée à l’affichage des mesures de déformation du sol ou des ouvrages, à des flux de données tierces. Aujourd’hui, ils proviennent de tunneliers ou de centrales d’injection. Pourquoi pas d'une foreuse.

Une grande rigueur

Par ailleurs, cette dynamique renforce un peu plus la dépendance du secteur vis-à-vis de l’électronique, et donc des fabricants. Le bureau d’études Geotech a trouvé cette contrainte trop lourde. Il a choisi de reprendre son indépendance. En outre, ce mouvement engendre une foi en l’informatique dont Jean-Paul Moutier se méfie : « l’acquisition a gagné en fiabilité. Nous pouvons suivre la qualité des essais. L’exploitation automatique donne une plus grande réactivité. Pour autant, il ne faut pas avoir une confiance aveugle dans la technique. Le sondeur doit utiliser ces appareils avec une très grande rigueur. L’ingénieur doit faire preuve d’une vigilance encore plus forte pour déceler les dérives. C’est lui qui décidera in fine du coefficient de sécurité de l’ouvrage. »

Pour le directeur, le numérique ne dispense pas les opérateurs de formation. Depuis trois ans, le titre de sondeur appartient au répertoire national de certifications professionnelles. Ginger CEBTP s’est fixé d’avoir un sondeur certifié par atelier de sondage. Ses effectifs se montent aujourd’hui à 35 certifiés. « Ils ont dû réfléchir à leurs pratiques, l’acquisition des données notamment, souligne Jean-Paul Moutier. Cette reconnaissance ouvre aussi la voie à la formation et l’apprentissage, des enseignements que nous pourrons délivrer avec notre entité Ginger Formation. »

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