
« Les entreprises de TP sont les partenaires des élus, leurs objectifs rejoignant les nôtres », une interview de Pierre Berger, Président de la FRTP Auvergne-Rhône-Alpes.
Dans quel contexte économique évoluent les TP dans votre région ?
L’enquête de conjoncture trimestrielle réalisée auprès des entreprises d’Auvergne-Rhône-Alpes fait état d’un carnet de commande moyen satisfaisant à court terme (15,9 semaines consécutives soit +1,6 semaine vs T2 2022) mais qui ne suffit pas à compenser le recul de l’activité programmée (-2,6 semaines vs T2 2022). Pour la fin 2022, les entreprises sont plutôt confiantes. Le chiffre d’affaires est estimé en légère hausse (+3%) mais les marges des entreprises seront réduites et les trésoreries largement entamées pour absorber les surcoûts qui ne peuvent pas être répercutés dans leur intégralité aux clients. Aujourd’hui, cette tension sur les prix figure en tête des difficultés rencontrées par les entreprises. Certains métiers, qui dépendent de fournitures spécifiques (canalisations en fonte, acier dans le génie civil, bitume dans les travaux routiers, etc.) sont plus impactés que d’autres mais toutes les entreprises doivent composer avec la hausse des prix de l’énergie, du carburant et des matières premières. Et ce, dans un contexte où le nombre d’appels d’offres reste moindre.
Comment anticipez-vous l’année prochaine ?
L’exercice 2023 dépendra de nombreux facteurs sur lesquels la Profession des Travaux Publics n’a que peu de leviers. Des incertitudes fortes subsistent, liées à la multiplication de chocs exogènes, notamment l’évolution de l’inflation, la prise en charge ou non des surcoûts par les maîtres d’ouvrage et le lancement des projets déjà étudiés mais actuellement bloqués. Le flou persiste donc pour 2023, du fait de l’attentisme des collectivités locales, dont la gestion est perturbée par la tendance inflationniste qui se poursuit, notamment le coût de l’énergie qui impacte fortement leurs budgets et le coût des matières premières ayant des répercussions sur les travaux.
Compte tenu du contexte actuel, ces dernières ne sont-elles pas tentées de faire de l’investissement dans les infrastructures, la variable d’ajustement de leur budget ?
C’est tout le sujet. Si nous devons avoir une véritable inquiétude, elle est sur un avenir à court terme de l’activité récurrente qui est le quotidien de nos entreprises et qui les fait vivre dans les territoires. Ce sont ces travaux d’agence qui pourraient être les plus touchés dans les prochaines décisions budgétaires. Il faut rappeler que, suivant les métiers, le chiffre d’affaires de la Profession est réalisé à hauteur de 60/80% par les projets portés par les collectivités publiques. Il est donc indispensable qu’elles poursuivent leurs investissements.
En ont-elles réellement les moyens ?
Les éléments très factuels analysés par des organismes extérieurs à la profession, dont la CERC, font état d’une excellente santé financière des collectivités tant en termes de trésorerie qu’en termes d’endettement. Elles peuvent passer à l’action ! On ne gère pas une collectivité comme on gère une entreprise. Une collectivité n’a pas vocation à faire des bénéfices. L’investissement ne doit pas être sacrifié au prétexte de taux d’inflation qui remontent. Force est de constater que l’on ne sait pas expliquer à nos concitoyens que la bonne gestion d’une collectivité, ce n’est pas thésauriser mais bien d’entretenir son patrimoine, avoir des réseaux opérationnels et être en capacité de mettre en place des nouvelles infrastructures nécessaires à la vie des populations. Cela d’autant plus que la marge existe et qu’elle est large. Une collectivité est estimée à risque quand sa capacité de désendettement dépasse 12 ans. Aujourd’hui, la capacité de désendettement moyenne est inférieure à 5 ans ! Il faut valoriser le bilan travaux des collectivités locales en le décorrélant du bilan économique. Un bon élu est-il celui qui laisse une commune plus riche sur le plan de la trésorerie qu’à son arrivée ou est-ce celui qui laisse une commune plus riche parce qu’elle aura investi dans ses réseaux d’eau potable et d’assainissement, sécurisé ses ouvrages d’art et ses murs de soutènement et rénové ses voiries ? Un bon élu est certes un gestionnaire mais pas que !
Quels sont les enjeux ?
Nous avons un vrai besoin d’entretien de nos réseaux, quels qu’ils soient. Nous sommes très loin des rythmes de renouvellement « raisonnables » du patrimoine existant. Dans le domaine de l’eau, au rythme de renouvellement actuel, quelque 120 années seront nécessaires pour remettre à niveau les canalisations, quand la durée de vie des réseaux d’eau est de l’ordre de 60 ans. La situation est similaire dans les infrastructures de transports et les réseaux secs. Si l’on continue à ce rythme, nous ferons face à des problèmes d’une tout autre ampleur, nécessitant des budgets exponentiels. Nous ne demandons pas de grands projets. Nous voulons des chantiers du « quotidien », qui permettent d’entretenir un patrimoine vieillissant en priorisant les travaux. Si la totalité des collectivités se mettaient en conformité, nos entreprises ne seraient jamais en difficulté. Les défis liés à la transition écologique sont aussi majeurs : il s’agit, à l’horizon 2050 de décarboner les mobilités, de développer un mix énergétique bas carbone, tout en préservant la ressource en eau et la biodiversité, protéger le territoire face aux aléas climatiques. Cela passe nécessairement par des investissements en matière d’aménagements de l’espace public. La trajectoire bas carbone de la France donne un « point d’étape » à horizon 2030, avec une réduction de 40 % des émissions GES (par rapport à 1990) et quand on verdit les centres-villes, quand on désartificialise les sols, quand on dépollue les friches industrielles, les TP sont au cœur de ces travaux. Je rappelle que les enjeux de développement durable et de préservation de la nature sont une réalité quotidienne sur nos chantiers. Avec 90% des sous-produits de nos travaux recyclés, la profession est en pointe sur ces sujets.
Allez-vous prendre des initiatives pour inciter les collectivités à lancer des projets ?
Confrontées aux enjeux de la transition écologique et au maintien du niveau de service de leurs infrastructures, les collectivités locales sont accompagnées et de nombreuses sources de financement existent. Face à la multitude de subventions mobilisables, et la complexité de s’y retrouver parfois, la FRTP vient d'éditer une nouvelle version du Guide des aides au financement des projets des collectivités locales. Il s'agit de la 4e édition auvergnate et de la 2e édition rhônalpine qui présentent toute la liste des aides que peuvent mobiliser les collectivités pour la réalisation de leurs projets d’aménagement et d’entretien des infrastructures.
De quoi s’agit-il précisément ?
Le contenu est très orienté budget et financement. Pourriez-vous décliner un guide d’ordre plus technique ? Je ne sais pas si c’est notre vocation mais il est possible que cela le devienne quand on voit l’état de la maîtrise d’œuvre publique, qui a été sacrifiée sur l’autel de la concurrence. Aujourd’hui, beaucoup de petites communes se retrouvent sans ressources techniques. Certes, la maîtrise d’œuvre privée existe mais les niveaux de prix auxquels se traitent les affaires font qu’il n’y a pas toute la compétence mobilisée puisqu’il n’y a pas de volonté d’en payer le prix. Aujourd’hui dans les métiers de travaux publics, à l’exception des grandes collectivités, les sachants ne sont plus les donneurs d’ordre ni les maîtres d’œuvre publics, mais bien les entreprises. C’est problématique.
Comment y remédier ?
Idéalement, c’est de privilégier les partenariats publics privés avec les collectivités et les entreprises. Pour cela, il faut qu’il y ait de la confiance entre les deux parties. Celle-ci ne sera assurée que par des montages juridiques permettant aux entreprises de s’y retrouver sur le plan financier et aux maîtres d’ouvrage de s’assurer de la qualité du travail réalisé à un prix correct. Partenariat public privé, société d’économie mixte à opération unique, délégations de service public, marché de performance, les solutions existent : elles ne seront pas mises en œuvre tant que la défiance entre les politiques et les entreprises ne sera pas levée. À titre personnel, je considère qu’il va bien falloir un jour, y recourir, faute de quoi les investissements à allouer aux infrastructures seront pour le coup, hors de portée des collectivités.
En tout état de cause, vous plaidez pour une approche partenariale ?
En tout état de cause, vous plaidez pour une approche partenariale ? J’ai beaucoup de respect pour les élus politiques et, en particulier l’abnégation dont font preuve les Maires. Mais je considère que c’est de mon devoir d’entrepreneur de les alerter sur ces sujets. Nous comptons sur les collectivités pour avancer dans la décarbonation de nos infrastructures en vue d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Cela passe bien sûr par le savoir-faire des entreprises de Travaux Publics et la capacité des collectivités à investir à leur échelle. Nous voulons confirmer que les entreprises de TP sont les partenaires des élus, leurs objectifs rejoignant les nôtres : entretenir les infrastructures, aménager le territoire, le rendre attractif et agréable à vivre, au service des citoyens.
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