Le président de la fédération régionale revient sur l'activité des travaux publics durant les premiers mois de 2022, alors même que les difficultés s'accumulent pour la filière.

« Nous demandons un moratoire sur l’interdiction du diesel à Paris », José Ramos, président de la FRTP* Île-de-France

Quel est le contexte conjoncturel qui prévaut dans la région capitale ?

Les beaux jours arrivant, l’activité devrait monter en puissance. Ce n’est pas le cas. À fin mai, l’activité s’inscrit en progression de 4 %, toutes spécialités confondues. Ce pourcentage est à rapprocher d’un niveau de référence relativement bas. Je rappelle que la croissance de 9 % enregistrée en 2021 l’a été sur une année pleine et par comparaison avec une année 2020 durant laquelle nos entreprises n’ont travaillé que 10 mois. Si l’on fait abstraction des travaux directs ou indirects portés par la Société du Grands Paris et la Société de Livraison des Ouvrages Olympiques, les volumes de travaux restent significativement bas, avec des fortes disparités selon les spécialités. Compte tenu de l’effet de proportionnalité, certains métiers sont stables ou en contraction. Il faut donc être raisonnables dans nos projections et admettre que la situation sera contrastée au moins jusqu’en 2024.

Quelles sont les spécialités les plus impactées ?

Logiquement, les fondations spéciales sont particulièrement exposées et subiront un trou d’air cette année. Ce n’est pas une surprise. Ce sont elles qui ont bénéficié en premier de l’effet Grands Paris et JO 2024. Il est vraisemblable que la baisse d’activité se fasse sentir jusqu’en 2026. C’est d’autant plus problématique qu’il s’agit d’une filière très spécialisée au sein de laquelle la mobilité des collaborateurs est faible. A contrario, les travaux électriques et les travaux ferroviaires sont les mieux lotis. Ils s’inscrivent en progression de 15 % depuis le début de l’année. Les canalisateurs ont également de l’activité. D’une manière générale, les travaux routiers de VRD et de terrassement voient leur activité se tarir.

Tous vos maîtres d’ouvrage sont-ils au diapason ?

La commande publique est plus dynamique que l’an passé. Le bloc communal, qui comprend les communes et les intercommunalités, est en légère croissance (+ 7 %), à l’inverse des départements, avec des volumes d’appels d’offres en contraction de 40 %. Sur les huit conseils départementaux que compte la région, seule la Seine-Saint-Denis est dans le vert. Il est néanmoins important de rappeler que nous n’avons pas retrouvé le niveau d’activité d’avant-crise. Entre 2019 et 2022, le nombre d’appels d’offres a reculé de 21 % tous donneurs d’ordre publics réunis. L’Île-de-France a des difficultés manifestes à maintenir un niveau d’activité satisfaisant. C’est d’autant plus préoccupant qu’il faudra a priori gérer la problématique liée à l’interdiction des moteurs diesels dans la capitale et la petite couronne dès 2024.

Que proposez-vous ?

Nous avons mis en place en 2021 un comité ZFE afin de produire une note de positionnement. Fin mai, nous avons rencontré les services de la Ville de Paris. Nous demandons un moratoire sur l’interdiction du diesel à Paris. La question n’est pas de contester les objectifs politiques de l’exécutif mais de rappeler que l’engagement pris par la ville est déraisonnable, pour ne pas dire inapplicable, au regard des bornes d’approvisionnement en service mais aussi des motorisations et énergies disponibles sur le marché. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas possible de se rapprocher progressivement de cet objectif. C’est simplement un problème de calendrier.

Quel serait le calendrier raisonnable selon vous ?

Limiter la circulation dans la petite couronne pourrait être une bonne chose sous réserve d’aménager au préalable les parkings de rabattement. Cela permettrait un vrai report modal, indispensable à fluidifier la circulation et donc à abaisser les niveaux de pollution. C’est pourquoi nous proposons de différer l’entrée en vigueur de la mesure à l’horizon 2030-2034.

Comment appréhendez-vous le second semestre ?

Le retard pris ne sera pas rattrapé. L’activité sera en repli en 2022. Depuis mars dernier, nous sommes confrontés à des hausses de prix massives et répétitives qui, selon les activités, fluctuent de 5 à 40 %. Nos entreprises ont beaucoup de mal à la répercuter auprès des donneurs d’ordre. Dans les faits, nous serons à budget constant. Il est urgent de pouvoir actualiser les marchés d’entretien et de réfléchir à raccourcir les délais d’actualisation des indices de la profession, comme cela avait été fait en 2013-2014 avec l’index bitume.

Parvenez-vous à répercuter en partie la hausse de vos coûts ?

Dans les faits, non. Il faut cependant nuancer selon les donneurs d’ordre et les métiers concernés. Le problème n’est pas nouveau. Ce qui est inédit, c’est que personne ne sait combien de temps l’inflation va perdurer et dans quelle proportion. Nous sommes dans une profession qui ne sait pas répercuter les augmentations de prix à ses clients.

Comment expliquez-vous cela ?

Un chantier ne peut pas être arrêté. Nous ne sommes pas dans la capacité de stopper les travaux tant que les prix ne sont pas réévalués. Nous sommes donc résignés à subir une situation dont personne ne maîtrise les tenants et les aboutissants.

Observez-vous des défaillances d’entreprises ?

Rien de significatif à ce stade. Il est probable que le remboursement des PGE qui intervient à la fin du mois puisse fragiliser la trésorerie de quelques entreprises. En revanche, les premiers effets sur le recours à l’intérim se font sentir. C’est classique dans notre profession.

Quelles mesures permettraient d’améliorer la situation des entreprises ?

Nos entreprises ont besoin de visibilité. Elle est nécessaire pour pouvoir investir dans les matériels nécessaires aux chantiers décarbonés et pouvoir investir dans le recrutement et la formation de nos collaborateurs. Je rappelle que les besoins sont estimés à près de 30 000 postes dans les cinq prochaines années. En Île-de-France, nos entreprises doivent alimenter un carnet de commandes à six mois pour qu’elles soient sereines. À moins de quatre mois, on n’est plus entrepreneur, on est dans l’instinct de survie. Si les hausses des matières premières et de l’énergie venaient à se prolonger au-delà de 2022, bon nombre de nos entreprises seraient dans des situations d’extrêmes difficultés.

Deux ans après les élections municipales, où en sont les communes ?

Nous sommes sur une mandature « pleine » dans les transferts de compétence. La région se caractérise par sa complexité administrative, à cheval entre la Métropole et les territoires. Il est à craindre que les arbitrages aient un impact négatif sur leurs investissements. Les projets tardent à sortir. Les contrats de relance et de transition écologique mis en place par l’État donnant aux collectivités les dotations d’investissement ont subi un an de retard. Les arbitrages que doivent faire les collectivités locales privilégient souvent le court terme. En revanche, j’observe que leur trésorerie s’est significativement renforcée. Ce n’est pas le rôle d’une collectivité que de stocker de la trésorerie. Il faut qu’elle se projette dans l’investissement. C’est capital. Cela laisse présager une année 2023 compliquée… Comme tout entrepreneur, je suis d’un tempérament optimiste. Mais il faut reconnaître que les nuages s’accumulent et que l’année prochaine s’annonce difficile. La priorité doit être donnée aux investissements.

La Première ministre a annoncé vouloir « agir plus vite et plus fort » sur les défis climatique et écologique. Partagez-vous ce volontarisme ?

Le changement de gouvernement aura un impact sur les décisions de l’aménagement du territoire en général dans le cadre de la mise en œuvre de transition environnementale. Cette dernière constitue une opportunité pour nos métiers pour peu que nos entreprises disposent d’une visibilité. C’est essentiel pour arbitrer sur nos investissements nécessaires à la transformation énergétique. Il n’est pas normal qu’en 2022, l’électricité de nos installations de chantier soit fournie par des groupes électrogènes. Il n’est pas raisonnable de devoir attendre de trois à six mois pour installer une armoire électrique sur un chantier, y compris dans Paris. Comment nous imposer de nous transformer quand nos parties prenantes elles-mêmes, qui auraient dû entreprendre ces évolutions depuis longtemps, ont du mal à le faire ? La transition environnementale exige de s’imposer à soi ce que l’on impose aux autres.

">