Une interview de Nathanaël Cornet Philippe, délégué général du SEDDRe*

Quel bilan dressez-vous de vos journées Métiers qui se sont tenues début avril à Montpellier ?

Après deux années sans rencontre, nos adhérents étaient pressés de se retrouver à un moment particulier pour la profession. La densité du programme illustre l’actualité et les défis qui se posent à nos métiers. La diversité des thèmes abordés confirme les apports de la fusion avec l’aval de la filière. Nous avons gagné en compréhension sur la partie déchets en général et déchet amiante en particulier. Dans le domaine du désamiantage, il faut mentionner la mise à l’honneur de nos règles techniques (projet sous section 3). Un projet phare pour le syndicat qui a mobilisé une cinquantaine de personnes au sein du SEDDRe et qui a démontré sa capacité à travailler avec d’autres acteurs, dont la Direction Générale du Travail, les assurances, les maîtres d’œuvre et les entreprises.

Où en est le projet d’harmonisation européenne dans le domaine de l’amiante ?

Le projet d’abaissement de la valeur d’exposition (VLEP) de 100 fibres par litre à 1 fibre par litre dans une nouvelle directive européenne a été évoqué. Je rappelle qu’en France, le seuil applicable est déjà de 10 fibres par litre. Nous avons présenté le travail de benchmarking réalisé au sein de l’Association européenne de la démolition (EDA). Il s’agit d’une enquête réalisée dans une quinzaine de pays, très éclairante sur les pratiques, remise dans le contexte français. Le projet de directive européenne est conditionné par le type de mesure adoptée, la sensibilité analytique associée et le facteur de protection assignée des masques. En d’autres termes, il s’agit de rappeler que les normes françaises sont parmi les plus strictes en Europe et que si nous ne sommes par opposés à une certaine harmonisation, en aucun cas il ne faut la définir à partir d’un seul critère.

Que faut-il en retenir d’autre ?

Nous sommes dans une situation d’attente, d’interrogation, voire d’inquiétude sur les modalités d’application de la Responsabilité Élargie au Producteur sur les métiers de la démolition et du recyclage. La gestion des déchets occupe une place de plus en plus centrale dans nos métiers. Nous avons adopté des positions qui ont été prises en considération par la réglementation. Le diagnostic déchets, désormais appelé diagnostic Produits Équipements, Matériaux, Déchets (PEMD), issu de la loi sur la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire, est toujours en attente de son arrêté d’application (déclaration et recollement). La loi, qui aurait dû entrer en vigueur au 1er janvier dernier, reste en suspens. Dans la pratique, c’est donc l’ancien diagnostic déchets qui est utilisé.

Une part importante de vos travaux ont porté sur la REP. Où en est la contractualisation ?

La loi et son décret, fixant le cadre du dispositif réglementaire, existent. Il manque la publication du cahier des charges des éco-organismes qui pourrait sortir après les législatives. En attendant, les éco-organismes ne peuvent candidater à l’agrément. La règle du jeu complète n’est donc pas définie. En outre, toute la démarche de dématérialisation associée est bloquée. Il existe un risque juridique, ne serait-ce que sur les appels d’offres et les travaux qui seront lancés dès cette année. Aujourd’hui, il est impossible de chiffrer le coût du déchet lié à l’application de la REP. La contractualisation entre l’entreprise de travaux et la maîtrise d’ouvrage, notamment en période intermédiaire, doit être précisée. Il s’agit de savoir qui va payer quoi et qui va récupérer quoi en matière de soutien financier. Pour une entreprise de démolition, le coût de gestion des déchets représente en moyenne 20 % de la valeur d’un marché. Si demain ce chiffre d’affaires disparaît, les frais généraux de l’entreprise devront être réorganisés.

Que proposez-vous ?

Nous préconisons de définir quelques règles du jeu avec les principales maîtrises d’ouvrage de façon à pouvoir disposer de grands axes « gagnant-gagnant », permettant d’éviter les litiges à terme. Le SEDDRe est disposé à continuer à discuter avec les grandes maîtrises d’ouvrage et maîtrise d’œuvre, qui ne se sont pas encore approprié le sujet.

La REP a-t-elle d’ores et déjà des conséquences sur les matériels mis en œuvre sur vos chantiers ?

À ce jour, la REP n’a pas d’effet sur l’organisation des chantiers ni sur l’évolution des matériels. En revanche, il est probable qu’à l’avenir, le développement du réemploi et la généralisation de la dépose sélective ou préservante va de stimuler la mécanisation de ces opérations de dépose. Les innovations que nous avons distinguées renvoient à des enjeux de sécurité et de productivité. Ainsi, le système de changement sur une pelle de déconstruction d’un bras court à un bras long sur chantier, depuis la cabine et sans intervention humaine, constitue une avancée. Les gains de sécurité et de temps sont évidents. La productivité progresse, un porteur pouvant faire le travail de deux. Le concasseur de la société Fives, également distingué, répond aux mêmes objectifs. Ce matériel permet de séparer « finement » les matériaux à traiter en place. Toutefois, le premier Prix de l’Innovation a été attribué à la gamme de décapant biologique Amiantol de la société Licef.

Comment évoluent vos métiers ?

Depuis plusieurs années, les métiers de la démolition s’orientent de plus en plus vers la déconstruction sélective. Le nouveau guide Orée pour mettre en œuvre la feuille de route de l’économie circulaire, qui précise comment mieux déconstruire plus et auquel nous avons participé, confirme l’enjeu de la déconstruction sélective et du réemploi des matériaux issus de la déconstruction et pose le problème du modèle économique à définir. Il en résulte que la déconstruction combine moyens matériels et compétences pour générer de la valeur.

Ces évolutions commandent-elles de mieux connaître l’infrastructure à déconstruire ?

La volonté de partager la ressource et de limiter les effets carbone des chantiers est une préoccupation partagée. Nos adhérents démolisseurs considèrent qu’ils sauront s’adapter et qu’ils seront en capacité de maîtriser l’ensemble des opérations. La dépose soignée est plus coûteuse qu’une dépose industrielle. Tout l’enjeu porte sur l’économie de l’aval, soit en termes de coût du déchet, soit en termes de valorisation. Dans l’économie actuelle de la filière, l’équilibre est fragile Dans un grand nombre de cas, si l’on veut progresser significativement, il faut massifier et requalifier les produits en réemploi. Ce sujet, qui est central, est interrogé par celui de la REP, avant la question de la gratuité du déchet. Le rôle des éco-organismes et de leur objectif en matière de réemploi sera donc déterminant.

Le secteur est-il confronté à l’inflation des coûts ?

Si nous sommes épargnés du volet « matériaux », l’envolée des prix de l’énergie est inquiétante. La part du gasoil dans la structure des coûts des entreprises est importante. Comme l’ensemble de la filière, la question est de savoir comment répercuter cette hausse aux clients. Seul bémol, le contexte inflationniste peut favoriser la valorisation des déchets, voire leur réemploi.

Comment valoriser les prestations de vos entreprises ?

C’est une question de fond sur laquelle tous nos adhérents réfléchissent. La valorisation maximale des matériaux et leur réemploi sont une voie pour réinventer le modèle économique. Pour cela, il est essentiel d’anticiper avec le donneur d’ordre, l’exécution du chantier et de pouvoir mettre en œuvre une démarche de type Reverse Information Modeling sur le modèle du BIM. Cela pose la question des compétences humaines. Nous l’avons anticipée avec l’actualisation de notre CQP « Préparateur en déconstruction » qui était tombé en désuétude. De même, nous portons un référentiel de formation pour les diagnostiqueurs PEMD qui doivent disposer d’un diplôme de qualification (Bac +2 à Bac +5). Les diagnostiqueurs PEMD et les opérateurs en déconstruction ayant été reconnus comme des métiers émergents par France Compétence, l’enregistrement des CQP ou autres titres professionnels correspondant doit être accéléré.

Repères chiffrés : SEDDRe*

1,3 Md € : CA 2022

7 500 : emplois directs

4 métiers : Déconstruction, Désamiantage, Sciage Carottage, Recyclage

*Syndicat des Entreprises de Déconstruction, Dépollution et de Recyclage

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