Les sorties de crise sont propices aux acquisitions. La preuve avec Kiloutou qui a bouclé sa plus grosse opération de croissance externe au Danemark, affirmant ses ambitions en Europe, et qui veut conforter son empreinte sur le marché français. Entretien avec Olivier Colleau, son président.

« Les loueurs ne peuvent pas garder pour eux cette inflation », une interview d’Olivier Colleau, président exécutif de Kiloutou

Le rachat de GSV peut-il être qualifié d’acquisition structurante pour le groupe ?

Nous sommes particulièrement satisfaits et enthousiastes d’avoir pu finaliser cette acquisition, qui va beaucoup nous apporter. C'est clairement une accélération de notre croissance mais c'est aussi une accélération du développement international. Je rappelle qu’avant l'acquisition de GSV, 82 % du chiffre d’affaires du groupe étaient réalisés en France, contre 18 % à l’international. Désormais, le chiffre d’affaires réalisé en dehors de notre marché domestique représente 30 %. Avec GSV, Kiloutou va passer cette année le cap du milliard d'euros.

Aviez-vous ciblé le marché danois ou est-ce la qualité du dossier GSV qui a été déterminante ?

C’est clairement la société GSV qui nous a intéressé. Avec une part de marché de 22 %, un chiffre d’affaires de 130 millions d’euros et 19 agences sur le territoire danois, il existe encore des opportunités de croissance interne mais aussi externe sur ce marché. C’est le leader du marché local. Un marché, qui comme partout en Europe reste très morcelé et présente des perspectives de croissance. Nous avons voulu faire cette opération parce que c'est la stratégie de Kiloutou de se développer en Europe. Le Danemark, qui se classe au 12e rang européen pour la location, n’était pas une cible de développement organique. L’opportunité représentée par GSV mais aussi le potentiel du pays nous ont convaincus. Ce pays scandinave, peu endetté, dispose d’une économie saine et solide, avec des perspectives de croissance dans le secteur de la construction, avec des taux de croissance de 4 % par an et une pénétration de la location encore modeste.

L’AFP a avancé le montant de 300 millions d’euros pour le rachat de GSV. Comment financez-vous ces acquisitions ?

Nous avons payé pour cette acquisition un montant inférieur à celui que vous citez. Nous finançons cette opération grâce à notre bilan. L’activité a bien rebondi en 2021 pour Kiloutou, nous permettant ainsi de fortement réduire notre levier d’endettement, celui-ci s’établissant à 4 fois l’EBITDA ( « french gaap » ou 3,7 fois en norme IFRS avant acquisition de GSV), nous donnant des marges de manœuvre pour ce type d’opérations. C’est ce qui nous a permis de boucler le rachat avec notre trésorerie et le concours de nos banques historiques, sans augmentation de capitaux.

Depuis le Danemark, vous disposez d’un point de vue privilégié sur l’ensemble de la Scandinavie. GSV sera-t-elle votre tête de pont vers ces pays ?

C’est effectivement une belle vigie. C’est aussi l’implantation la plus au nord dans notre géographie depuis laquelle nous pouvons observer ce qui se passe dans ces pays. Pour autant, cela ne veut pas dire que l’on s’y implantera tout de suite. Il faut être modeste. Nous découvrons cette région.

Avez-vous déjà pu développer les premières synergies avec GSV ?

Beaucoup de choses nous inspirent. Les Danois en général et GSV en particulier, sont en avance dans le domaine de la transition énergétique. C’est presque un sujet natif dans ce pays. Cela se retrouve dans les gammes de matériels et les services proposés aux clients. Je vois beaucoup de sources d’inspiration sur le développement durable, la digitalisation, la maintenance des matériels et leur transport. C’est l’avantage d’un métier très local, comme la location. Quand deux sociétés, sur deux pays différents développent des initiatives, il est toujours intéressant de les comparer. Il est prévu d’échanger dans les prochaines semaines avec des groupes de travail afin d’établir un premier diagnostic sur les meilleures pratiques à partager.

La priorité est désormais donnée à la croissance internationale ?

Le rachat de GSV concrétise l’accélération de notre développement international. Et cela va continuer ! Nous allons poursuivre dans cette direction. Cela ne veut pas dire que l’on va freiner en France même si, au regard de notre position et du potentiel du marché, les perspectives sont plus limitées. Aujourd’hui, Kiloutou exploite 450 agences dans l’hexagone, avec une part de marché de 14 %. Elle peut progresser, mais le plus grand potentiel de croissance se situe en dehors de France. C’est vrai dans les cinq pays hors France où Kiloutou est implanté, notre présence est encore modeste et le potentiel de développement élevé. Ces développements pourront se faire par ouverture d’agences comme par acquisitions.

L’objectif est d’être N° 2 en Europe ?

Je ne vois pas les choses comme cela. L’objectif est d’être très bon partout là où Kiloutou est présent. Nous ne sommes implantés que dans six pays. À notre stade de maturité, notre objectif est de proposer la meilleure expérience à nos clients et à nos collaborateurs. Je rappelle que nous sommes présents en Europe continentale dans des pays offrant un potentiel important. Il s’agit de pays qui comptent économiquement parlant et dont les populations dépassent les 40 millions d’habitants, aux premiers rangs desquels figure l’Allemagne. Avec moins de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires réalisé outre-Rhin, nous ne pouvons que progresser. Que ce soit l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie ou la Pologne, la pénétration de la location oscille entre 1,5 et 1,6 %, ce qui reste plutôt modéré. Partout, il y a du potentiel de croissance pour Kiloutou.

" Partout, il y a du potentiel de croissance pour Kiloutou "

Bien qu’extra-européen, le marché britannique est-il dans votre radar ?

Tout dépend sur quelle échelle de temps on se place. C’est un marché différent. Un développement à deux ou trois ans n’est pas d’actualité. À plus long terme, pourquoi pas. C’est l’intérêt d’un métier qui offre beaucoup de potentiel de croissance. Les stratégies peuvent évoluer.

Quel est le fléchage des 250 millions d’euros que Kiloutou alloue aux acquisitions de matériels en 2022 ?

C’est un montant important ramené à la taille du parc qui est destiné à la fois au renouvellement et à la croissance de la flotte de matériels. Après deux années d’investissements modérés, nous repartons de l’avant, dans une économie qui présente encore des aléas mais dont le sous-jacent me paraît toujours solide.

Les retards de livraison de la part de vos principaux fournisseurs remettent-ils en cause ces investissements ?

Les perturbations qui touchent l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement mondial impactent nos fournisseurs. Nous subissons des retards. L’avantage du modèle de la location est de disposer d’un parc de matériel important avec lequel nous pouvons servir nos clients. En cas de nécessité, nous savons augmenter la durée de vie de nos matériels à l’aide de nos programmes de maintenance. L’inflation est un sujet. Nous avions oublié depuis 30 ans ce que c’était que de vivre dans une économie avec un taux d’inflation élevé. C’est 4 à 5 % en France, c’est plus de 10 % en Pologne. Cette inflation se retrouve partout, évidemment dans le prix d’achat des machines mais aussi dans celui des pièces détachées, du carburant et des frais généraux du groupe. Dans des logiques d’industries en chaîne, l’inflation survient à chaque maillon, avec parfois des amortisseurs. Ce qui est sûr, c’est que le phénomène est parti pour durer.

" Nous savons augmenter la durée de vie de nos matériels à l’aide de nos programmes de maintenance "

Avec quelles conséquences sur vos grilles tarifaires ?

Cela a un impact sur les prix des locations, puisque nous reportons les hausses que l’on subit. Ce n’est pas toujours simple pour nos commerciaux. Il est essentiel de répercuter l’inflation sur nos tarifs. Pour moi, le problème inflationniste est plus inquiétant que celui des délais de livraison des matériels. Jusqu’à présent, nos clients nous suivent. Ce ne serait pas raisonnable de ne pas le faire. Au-delà de Kiloutou, les loueurs, dans leur ensemble, ne peuvent pas garder pour eux cette inflation. S’ils le faisaient, leur marge baisserait et, leur capacité d’investissement se contracterait. Les marges d’aujourd’hui sont les investissements et les emplois de demain.

Observez-vous une baisse de vos locations depuis l’augmentation de vos tarifs ?

Nous restons très vigilants. À ce stade, nous ne le constatons pas sur la demande de location car nous vivons sur l’inertie des chantiers lancés. Tout au plus, peut-on voir quelques décalages sur des chantiers ralentis par les retards d’approvisionnement des matériaux. De même, le phénomène peut créer un certain attentisme de la part des donneurs d’ordre publics ou privés. Le premier trimestre a été bon et je reste confiant. J’ai plus d’inquiétude pour le second semestre et début 2023, au regard du contexte géopolitique.

Les pratiques de la location se sont-elles améliorées au cours de derniers mois ?

Je n’ai observé, ni amélioration, ni détérioration. Nous restons dans un marché dans lequel la relation commerciale est importante. Elle est faite de discussions, de tensions parfois sur le respect des conditions générales de location et des accords. Rien de très nouveau et qui, à mon avis, n’est pas près de changer. Je trouve préoccupant, pour une profession comme la location, de s’inscrire dans une tendance long terme de baisse des prix alors que nos coûts ne baissent pas. Clairement, cela signifie que ce sont nos marges qui baissent. C’est le signe d’un secteur qui s’appauvrit, qui n’investit pas dans l’avenir et qui ne se prépare ni à la transition énergétique, ni à la transformation digitale

Entre les délais de livraisons et l’envolée du prix de matériels, la conversion de votre parc et votre capacité à répondre à la demande sont-elles remises en cause ?

Les horizons de temps ne sont pas les mêmes. Kiloutou est entré dans une migration de son parc vers des énergies plus vertueuses qui prendra au minimum dix ans. Je rappelle que, d’un point de vue environnemental, il est sain de garder ses matériels longtemps. Nos choix s’inscrivent de fait, dans le temps long. Nous tiendrons nos engagements environnementaux. Plus de 90 % de nos investissements vont dès aujourd’hui vers des matériels électriques, hybrides ou fonctionnant avec des moteurs Stage V. Si l’on fait un arrêt sur image du parc d’engins motorisés, plus de 40 % fonctionnent avec l’une des motorisations alternatives. À court terme, la hausse des coûts des matières premières renchérit encore plus le coût d’achat des machines. Néanmoins, même si cela nous coûte, nous ne baissons pas la garde sur l’acquisition des matériels fonctionnant avec des moteurs alternatifs au diesel.

" Nous tiendrons nos engagements environnementaux "

L’offre est-elle en adéquation avec vos besoins ?

Depuis deux ans, nous observons une accélération très forte chez nos fabricants et chez nos grands clients qui ont, pour la plupart, annoncé des trajectoires carbone ambitieuses. La demande s’accélérant, de la part de majors de la construction, nos fournisseurs ont beaucoup investi en R&D. Je suis confiant dans leur capacité à nous proposer les matériels équipés des motorisations à même de répondre aux enjeux de la transition énergétique.

Quelle est l’appétence de vos clients pour ces nouvelles motorisations ?

Ils sont demandeurs de tests sur le terrain, d’informations et de formations. Nous avons un travail de référencement à faire auprès de nos fournisseurs et de promotion auprès de nos clients. Il est intéressant d’observer l’alignement d’intérêts entre les entreprises, les loueurs et les fabricants

Est-ce caricatural de dire que la demande pour ces matériels provient des grands comptes pour leurs chantiers urbains ?

Non. Ces matériels sont plus demandés pour certains usages, car un matériel de ce type, n’est pas qu’un matériel dégageant moins de CO2. C’est aussi un matériel silencieux, qui émet moins de particules fines, de vibrations et dont les nuisances d’utilisation sont moindres. C’est le cas des chantiers urbains.

Qu’est ce qui a prévalu à la création des Rencontres du matériel durable ?

Le sujet des matériels de chantier est par définition un sujet de filière, de l’amont, avec les fabricants de matériel, à l’aval avec les sociétés de construction mais aussi leurs clients, les donneurs d’ordres. On voit bien l’interdépendance de chacun. Pour ce qui est des loueurs, nous dépendons de matériels qui sont fabriqués et de l’utilisation qui en est faite par nos clients. C’est cette approche que nous avons utilisée au travers des Rencontres du matériel durable, qui rassemblent une soixantaine d’entreprises et de fédérations et qui sont pensées comme un groupe de travail pour échanger et partager sur des sujets très factuels : le bilan carbone des différentes énergies alternatives au diesel, l’équation économique des solutions existantes. Dans un métier d’investissement qu’est la location, il est important d’éclairer nos choix. Le coût, l’usage et l’exploitation des matériels alternatifs sont radicalement différents.

" Le sujet des matériels de chantier est par définition un sujet de filière "

Quel modèle économique définir ?

Il faut repenser tout le modèle dans le cadre d’un écosystème inédit. Comme dans tout changement, il y a des opportunités pour le loueur. Même s’il faudra toujours entretenir, livrer et reprendre un matériel sur un chantier, le métier sera différent. De nouvelles compétences sont à acquérir, en particulier dans le domaine technique, pour pouvoir intervenir sur des motorisations électriques. De même, nos infrastructures devront être adaptées pour recharger les batteries. À plus long terme, il faudra aussi pouvoir recharger les moteurs à l’hydrogène. Ce qui est sûr, c’est que nous ne reviendrons pas en arrière dans la transition environnementale et que les changements vont impacter, au-delà de la location de matériels, nos vies.

Comment appréhendez-vous les grands chantiers qui se profilent ?

À travers sa division TP, Kiloutou s’est beaucoup développé sur ce marché, avec des agences dédiées et une gamme qui répond aux besoins des entreprises. Nous avons gagné une crédibilité auprès des acteurs de ces projets. Cette activité représente 22 % de notre chiffre d’affaires en France. Nous serons donc très attentifs au lancement des travaux qui permettent l’accélération de la pénétration de la location, en particulier dans les gammes lourdes. C’est de plus en plus compliqué pour les entreprises d’investir dans ces matériels pour deux ou trois ans. Nous voulons aussi proposer de nouvelles références de matériels sur ces chantiers.

De plus en plus de constructeurs proposent des solutions de paiement à l’usage, en particulier pour les matériels de production. Comment faites-vous face à cette offre concurrente ?

Je pense que c’est un faux débat. L'idée de payer à l'usage, c’est-à-dire à l'heure ou à la journée, ne diminuera pas le coût de la location. Il faudra toujours acheter la machine, la livrer, l'entretenir et la stocker. Ce sont là des coûts fixes, dont il faut s’acquitter. En outre, il est important de rappeler que quand une entreprise recourt à la location d’un matériel de chantier, c’est évidemment pour l’utiliser, mais c’est aussi, parfois, pour en disposer en sécurité. Je le répète. La location est un métier de coûts fixes. Les coûts variables sont marginaux et donc, le paiement à l’usage n’est pas avantageux en matière de prix. Cette solution n’est qu’une façon de présenter la tarification au client

" L'idée de payer à l'usage, c’est-à-dire à l'heure ou à la journée, ne diminuera pas le coût de la location "

En quoi consiste votre prestation Youse ?

Le principe réside dans la mutualisation d’un matériel auprès de plusieurs utilisateurs sur un même chantier. Cette approche permet effectivement de baisser le coût d’une location, car les transferts de matériels sont rationalisés et les durées d’utilisation sont optimisées. C’est le côté vertueux de l’économie du partage. Le service, qui fonctionne avec identification de chaque utilisateur, via un badge ou un code d’accès, permet de refacturer chacun au prorata de son utilisation. Les économies sont réalisées sur les transferts de la machine. Pour être pertinente, cette solution doit être mise en œuvre sur des chantiers qui cherchent à augmenter leur productivité en écartant les aléas. Les mêmes coûts étant mutualisés à plusieurs, l’économie est réelle.

Les loueurs semblent particulièrement exposés aux vols et aux escroqueries.Le phénomène est-il exacerbé pour l’enseigne ?

Cela reste une préoccupation majeure partout où Kiloutou est présent et moyennant des modes d’exécution de plus en plus sophistiqués. Après une accalmie pendant la période COVID, les exactions sont reparties à la hausse. Ramené en valeur à neuf de stock, cela représente presque 3 millions d’euros pour Kiloutou sur l’année 2021. Grâce à notre équipe Sûreté, qui travaille en collaboration activement avec les forces de l’ordre, 70 % des machines sont récupérées. Nous raisonnons également filière, en informant notre fédération professionnelle dès qu’un vol est commis ou qu’un faux document fourni par un client est identifié.

L’agence a-t-elle toujours sa raison d’être ?

Elle reste incontournable. Nos clients aiment s’y rendre pour s’informer sur les matériels, se faire conseiller et pouvoir échanger avec des professionnels. Si l’artisan et le particulier n’hésitent pas à passer par internet, les clients professionnels consultent notre site avant de se déplacer. La location tend vers un modèle hybride, associant le digital et le physique, avec un poids encore très fort de l’agence. C’est à la fois culturel et fonctionnel, les matériels nécessitant des structures de stockage.

Les difficultés à recruter des profils techniques freinent-elles votre développement ?

Nous avons une vraie stratégie de recrutement, en particulier avec notre prime de cooptation. Les profils de mécaniciens et de chauffeurs restent pénuriques. La notoriété et l’image de marque de Kiloutou aident. Nous sommes de plus en plus sollicités par des candidatures spontanées de jeunes aux exigences élevées. C’est sain. Pour nourrir nos ambitions de croissance, nous avons programmé 1 000 recrutements cette année.

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