
Didier Jacquet, président du Soffons*
Quel est le niveau de reprise de vos adhérents ?
Pendant toute la période du confinement et même ultérieurement, le Soffons s’est mobilisé afin d’informer en permanence ses adhérents sur l’évolution de la situation. Nous avons tenu des visioconférences hebdomadaires, voire bihebdomadaires, pour suivre les différents décrets et autres texte qui conditionnaient nos activités. Enfin, nous avons défini la ligne de conduite à tenir en matière de sécurité sanitaire du syndicat, en particulier sur la distanciation physique sur les chantiers. Nous avons donc convenu de rendre le port du masque obligatoire sur les chantiers de fondations spéciales pour pouvoir redémarrer les travaux. Après une période de transition pendant la dernière quinzaine du mois d’avril où près de 75 % des chantiers étaient actifs, l’ensemble de la profession était opérationnel en mai. Dès lors que les dispositions destinées à assurer la sécurité sanitaire étaient prises, les entreprises n’ont pas eu de difficulté pour mobiliser leurs troupes à la reprise des chantiers.
Quelles seront, à court terme, les conséquences de la Covid-19 ?
Si l’activité a été principalement impactée au cours des mois de mars et d’avril, les conditions de travail en mode dégradé vont pénaliser la productivité de nos entreprises au second trimestre. Pour ce qui est des fondations spéciales sur les grands projets franciliens, les bonnes conditions d’approvisionnement des chantiers du Grand Paris ont permis de rattraper en partie le retard enregistré. Nos adhérents qui interviennent sur les projets en Île-de-France sont relativement préservés. Dans les autres spécialités, le forage et le sondage, mises en œuvre sur l’ensemble du territoire, nos membres seront doublement impactés par les conséquences de la crise sanitaire et la baisse de l’activité.
Quelles sont vos prévisions d’activité pour cette année ?
L’année 2019 a marqué la fin d’un cycle de croissance au cours duquel le volume d’affaires de la profession aura été quasi multiplié par 1,5 grâce aux grands travaux en Île-de-France. Ce record historique est dû à l’apport des chantiers de parois du Grand Paris Express, d’Eole et de CDG Express, désormais quasi achevés. Pour les fondations spéciales, le poids de la région francilienne est sans commune mesure avec celui de la province. Pour les autres activités, liées au bâtiment, le cycle se maintenait jusqu’à mi-mars. La crise sanitaire a cassé ce cycle porteur. Sans le report du deuxième tour de l’élection municipale, le gel des instructions de permis de construire qui en résulte, les entreprises spécialisées dans les pieux et micropieux auraient même pu voir leur activité progresser. L’absence de maturation des dossiers de construction pendant près de trois mois va entraîner une baisse sensible dans ce domaine.
L’avenir des métiers de la géotechnique s’assombrit-il ?
Conjoncturellement, l’outil de production est surcapacitaire, en particulier dans le domaine des parois moulées profondes. La crise sanitaire a fragilisé les trésoreries des entreprises qui ont dû assumer les amortissements des matériels et frais généraux. Avec la fin des grands chantiers de parois, les filiales des entreprises étrangères présentes en France sont les plus exposées, jusqu’à la prochaine reprise des grands chantiers qui interviendra à partir de 2023. À l’exception des majors, nous craignons pour nos adhérents les dépôts de bilan des entreprises de gros œuvre du bâtiment. Structurellement, les fondations spéciales comme les travaux souterrains sont des métiers porteurs. Partout dans le monde, les projets de métros se multiplient.
Avez-vous estimé le surcoût des dispositions sanitaires sur les chantiers de fondations spéciales ?
Si nous savons calculer l’absence de production pendant un mois ou le coût d’achat des différents équipements nécessaires à la sécurité sanitaire de nos collaborateurs, nous ne savons pas mesurer la perte de productivité sur site. Elle peut être appréciée sur les grands chantiers au travers de différents paramètres, comme la multiplication des bases vie. Mais sur les travaux courants, c’est impossible.
Les techniques et procédés sur chantier s’en trouvent-ils modifiés ?
Il est trop tôt pour que des circonstances extraordinaires nous amènent à de tels changements dans nos organisations. La production pure sera toujours réalisée sur le chantier, autour de matériels et avec des compagnons. Il est impossible de faire différemment. Ce qui est sûr, c’est que le télétravail, souvent perçu de manière négative, s’est largement diffusé dans les services opérationnels et les bureaux d’études.
Les matériels mis en œuvre peuvent-ils être un levier de compétitivité ?
La mécanisation est croissante depuis des années dans nos métiers. Nos matériels assurent des niveaux de productivité élevés. L’un des leviers à actionner réside dans leur efficacité énergétique. C’est d’autant plus nécessaire que le prix du GNR sera fortement apprécié au 1er juillet 2021. Il faut tendre vers la réduction de la consommation à puissance constante. La réduction de la consommation passe également par une action sur les comportements des opérateurs pour qu’ils convertissent les heures de ralenti en heures d’arrêt. Des progrès sont réalisables avec la standardisation des systèmes de coupure du moteur et de mise au ralenti automatiques.
L’hybridation est-elle une option réaliste pour vos parcs de matériels ?
Les premiers prototypes de foreuses fonctionnant sur batteries sont en phase d’évaluation. C’est une option, à terme, qui n’aura de sens que si nous ne sommes plus tributaires de sociétés qui mettent trois à six mois à poser un branchement au réseau haute tension sur un chantier avec la puissance requise. Quand on sait que dans nos métiers, la durée moyenne d’un chantier est d’un mois, on comprend que cela va être compliqué. Sur le lot 16.1 du Grand Paris Express, nous avons fonctionné pendant un an sur des groupes électrogènes alors que le chantier était à Saint-Denis. La réalité est qu’en 2019, nous n’étions pas capables de brancher au réseau HT un chantier en Seine-Saint Denis.
Où en sont vos adhérents dans le développement de la maquette numérique ?
La digitalisation n’est pas pratique courante dans le domaine de l’infrastructure où il est beaucoup plus compliqué de l’adapter aux métiers des fondations. À ce stade, pour la plupart des PME qui structurent notre filière, elle est plus perçue comme une contrainte que comme un facteur de progrès. Elle peut être exigée sur certaines opérations du Grand Paris mais ce n’est pas de nature à transformer fondamentalement le métier. Les cinq majors du secteur intègrent leurs calculs dans la maquette numérique. Les matériels ne sont pas encore intégrés dans le BIM.
Que change la révision de la norme NF P94-500 ?
Ce texte fixe le cadre relationnel dans la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre et l’entreprise. Il fait l’objet, par le Bureau national de normalisation, d’une révision à laquelle le Soffons participe en la personne de Jean-Paul Volcke pour les métiers du sol. La révision envisage mieux les variantes techniques et les chantiers réalisés dans le cadre d’un contrat de conception construction. Depuis sa première rédaction au début des années 2000, la norme est devenue incontournable mais l’extension de son application à des projets autres que ceux pour lesquels elle était conçue initialement a révélé des lacunes qu’il est devenu nécessaire de combler, par exemple la méthode observationnelle.
Quel est, actuellement, le principal enjeu pour vos entreprises ?
À défaut d’un plan de relance, nous demandons le maintien des projets programmés. Il faut que les chantiers prévus soient réalisés. Je pense notamment au métro de Toulouse, dont la réalisation semble retardée, si ce n’est compromise. La tenue des élections municipales fin juin a permis de disposer d’une puissance motrice à même de lancer des nouveaux projets. Or le nombre d’appels d’offres reste préoccupant. À la différence des autres spécialités des travaux publics, l’entretien et la rénovation du patrimoine existant ne sont pas significatifs. 95 % du chiffre d’affaires de nos entreprises sont générés par les travaux neufs.
*Syndicat des entrepreneurs de sondages, forages et fondations spéciales
Repères chiffrés
1,6 milliard d’euros CA 2019 France
+ 13 % variation 2019/2018
1,7 milliard d’euros CA 2019 International
+ 2,7 % variation 2019/2018
34 adhérents
85 % de la profession en France
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