
OLIVIER PETER
Comment qualifieriez-vous le contexte dans lequel vos adhérents évoluent ?
Pas facile. Cela pour deux raisons. La première, c’est que la plupart des entreprises de fondations spéciales en France connaissent un creux d’activité qui était anticipé. La première phase des travaux du Grand Paris Express étant terminée, il était prévu une baisse d’activité cette année. La seconde raison est la crise ukrainienne et ses conséquences : la flambée des prix des matériaux, les difficultés d’approvisionnement.
Certaines spécialités tirent-elles mieux leur épingle du jeu ?
Les techniques de parois moulées sont certainement les plus impactées par la baisse d’activité globale. Ces travaux sont associés à des projets immobiliers -bureaux, logements, parkings- qui sont en retrait. Les pieux le sont moins. Quant aux travaux d’injection, ils s’inscrivent même en légère augmentation. Les entreprises qui bénéficient d’une activité à l’international, ce qui constitue un facteur de stabilité, s’affranchissent de cette conjoncture.
Quelles sont les conséquences de l’augmentation des prix de l’énergie en général et des carburants en particulier ?
Le poste énergie pèse moins lourd que celui des matériaux dans les coûts globaux de nos chantiers. Le premier représente environ 5% contre 40% pour le deuxième, ces pourcentages pouvant varier selon les spécialités. Nous sommes cependant impactés par l’envolée du prix du GNR et soutenons donc la démarche de la FNTP qui tend à supprimer la suppression de l’avantage fiscal du gasoil non routier.
Parvenez-vous à absorber la flambée des prix des matériaux dans vos marchés ?
C’est un vrai problème, en particulier en ce qui concerne l’acier qui, à lui seul, peut représenter jusqu’à 20% des coûts d’un chantiers de fondations spéciales. Le béton est également impactant. Globalement, l’index mensuel TP04 (NDLR : Fondations Spéciales), désormais publié sous 45 jours, s’est apprécié de 8% au cours du premier quadrimestre, dont 5,5% pour les seuls mois de mars et d’avril. Le contexte inflationniste que nous observions dès la fin de l’année dernière, s’est accéléré avec la guerre en Ukraine. Or, dans les fondations spéciales, plus de la moitié des marchés sont passés avec des donneurs d’ordre privés et ne sont pas révisables. Nos coûts globaux ont donc augmentés sans être compensés. C’est la marge de nos entreprises qui est affectée. Si l’on considère que le volume d’activité reste bas, on comprend que la situation de nos entreprises est difficile.
Observez-vous déjà des défaillances d’entreprises ?
Aucune, au niveau des 35 entreprises adhérentes à notre syndicat. Mais nous savons qu’un certain nombre sont en difficulté. Il est possible que cela advienne dans les prochains mois.
Quelles sont vos prévisions d’activité pour l’année en cours ?
Le premier semestre a été correct mais on s’attend à une baisse d’activité au cours du second. Le nombre des appels d’offre est en diminution. L’année devrait donc marquer une contraction de l’activité. Avec la fin des chantiers de la première phase du Grand Paris, 2022 marque le creux de la vague. Nos entreprises travaillent déjà sur de très gros appels d’offres liés aux Lignes 15 Est et 15 Ouest du Grand Paris, mais aussi au Canal Seine Nord Europe et au métro de Toulouse. Certes, ces projets ne génèreront pas d’activité cette année mais ils donnent des perspectives pour 2023 et au-delà.
Vos entreprises sont-elles préparées à de telles fluctuations ?
Ce n’est pas si simple. Dans les coûts de fonctionnement d’une entreprise de fondations spéciales, on distingue, schématiquement, le matériel, le personnel et les matériaux. En cas de baisse d’activité, il est relativement aisé de se défaire d’une partie de son parc à condition qu’il y ait un marché pour le revendre. Au regard des délais avancés par les constructeurs de matériels actuellement, ce n’est pas un problème : le marché du matériel d’occasion est dynamique. Pour ce qui est du personnel, les choses sont plus complexes. Nous sommes dans une activité très spécialisée, le vivier de main d’œuvre, par définition très spécialisée, est restreint. Réduire son personnel, c’est prendre le risque de ne pas pouvoir restaffer dans les perspectives des grands chantiers à venir. L’équation n’est pas simple, tant les ressources qualifiées sont rares. L’enjeu est donc de conserver les compétences dans nos entreprises.
Les investissements matériels sont-ils la variable d’ajustement ?
Les montants engagés sont certainement moins importants qu’au démarrage des travaux de la première phase du Grand Paris. Il faut néanmoins maintenir un niveau d’investissement. Le matériel vieillit et ses performances déclinent. Il y a donc toujours un enjeu de renouvellement de matériel, pas d’accroissement de parc.
Cela peut-il favoriser des mutations dans la composition des parcs ?
La transformation énergétique implique de s’intéresser à des motorisations alternatives. Aux côtés des trois autres syndicats de l’UMTM, le Soffons réfléchit sur le thème des nouvelles énergies et des nouvelles motorisations. Les réflexions portent sur les solutions qui vont permettre de décarboner nos matériels et remplacer le diesel dans nos parcs. On pense évidemment donc aux matériels électriques, alternative qui existe depuis longtemps dans nos métiers, sous réserve de disposer d’un accès au réseau électrique et de la puissance suffisante. Les matériels sur batteries posent le problème de l’autonomie, sur des chantiers qui travaillent souvent en deux postes, et de la puissance requises. Mais les technologies avancent et les premières foreuses de pieux sont opérationnelles. L’hydrogène semble plus intéressant pour notre profession, sous réserve de résoudre les questions de production et de logistique. J’observe que les motoristes, qui ont massivement investi dans des diesels de plus en plus performants et moins polluants, ne poussent pas toujours en faveur de nouvelles énergies.
Verra-t-on une nouvelle génération de matériel sur les futurs grands projets que vous avez mentionnés ?
Les maîtres d’ouvrage de ces trois projets ne demandent pas d’avoir des matériels différents. L’échéance de démarrage de ces chantiers me laissent penser que les nouveaux matériels ne seront pas encore disponibles. Pour autant, ces mêmes donneurs d’ordre, insistent beaucoup sur la réduction de l’empreinte carbone de leur chantier. La contribution du matériel sera l’un des leviers parmi d’autres à actionner pour y parvenir, mais pas le principal. Le plus impactant reste les matériaux, parmi lesquels le béton qui est le premier émetteur de CO2. Dans les appels d’offres que lancent la SGP, la Société du Canal Seine Nord Europe ou Toulouse Métropole pour son métro, les critères environnementaux deviennent déterminants. Ils intègrent des critères qualitatifs mais aussi, en phase travaux, des critères quantitatifs, avec, en cas de non respect, des pénalités. La réduction de l’empreinte carbone n’est pas une option sur ces projets. Si ces maîtres d’ouvrage peuvent apparaître précurseurs, ils ouvrent la voie à la manière dont nos chantiers seront encadrés dans le futur.
Cette approche contractuelle aura-t-elle une incidence sur l’organisation de vos chantiers ?
Il existe deux approches pour réduire l’impact carbone d’un matériau sur les chantiers. Disposer d’un béton bas carbone en est une. Ce type de matériau commence à être disponible en quantité sur le marché. Le béton de chanvre n’est pas adapté aux travaux de fondations spéciales, car difficile à mettre en œuvre à grande profondeur. L’autre enjeu réside dans la réduction des quantités de béton mises en œuvre diminuant ainsi l’empreinte carbone du chantier. Cela incite les entreprises à imaginer des variantes. C’est pourquoi, comme l’ensemble des métiers de TP, nous demandons à ce que les variantes soient autorisées dans tous les appels d’offres. Nos entreprises disposent d’une palette de techniques extrêmement variées. La proposition de variantes techniques est relativement facile et intéressante. Il faut que les maîtres d’ouvrage et les maîtres d 'œuvre fassent confiance aux entreprises. Les références techniques et l’expérience acquise sont là pour démontrer que nos entreprises sont capables de proposer des solutions optimisées d’un point de vue environnemental.
Cela suppose de faire évoluer les normes qui régissent vos travaux ?
Dans les fondations spéciales, les coefficients de sécurité sont particulièrement importants. Si, par expérience, les instrumentations mises en place démontrent qu’il est possible de réduire ces coefficients, alors ont réduira les quantités de béton et donc de CO2. Le travail d’optimisation des épaisseurs de nos ouvrages doit permettre d’atteindre cet objectif. Pour autant, ce n’est pas l’entreprise seule qui peut changer les normes. Les outils numériques dont on dispose aujourd’hui ont permis de progresser énormément sur la compréhension du fonctionnement des ouvrages géotechniques une fois réalisés. De la méthode observationnelle, qui tend à mieux comprendre le comportement d’un ouvrage dans le temps, à l’interprétation des données récoltées par les capteurs dont sont bardés nos réalisations, la profession sait aujourd’hui faire des rétro-analyses sur leur fonctionnement et définir les paramètres optimum permettant de gagner en quantité sans prendre de risque.
Quels sont les gains escomptés par l’abaissement des coefficients de sécurité ?
Ces coefficients de sécurité variant de 1,2 à 3, les quantités résultent d’une combinaison de nombreux paramètres qu’il est impossible de chiffrer. Les économies de béton et d’acier pourront être quantifiées au cas par cas, mais on peut avancer un gain de l’ordre de 20%. C’est comparable à ce que l’on peut gagner en phase d’optimisation du prédimensionnement fait à l’appel d’offre et qui intervient en phase d’exécution.
Les grands donneurs d’ordre que vous avez mentionnés sont-ils sensibles à ces économies potentielles ?
Ils le seront d’autant plus qu’ils pourront réaliser les économies de CO2 figurant dans les bilans carbone que nous leur fournirons avec nos variantes techniques. Pour autant, il ne seront pas forcément enclin à demander l’abaissement des coefficients de sécurité. Il faut rappeler que le système français de normes en termes de dimensionnement d’ouvrage est très complexe. Le passage aux normes européennes a contribué à augmenter les quantités de matériaux. Si l’on est capable de simplifier les normes de calcul, tout le monde sera gagnant.
La révision de la norme NFP 94-500 sera-t-elle achevée cette année ?
Le Soffons travaille intensément sur le sujet depuis plus de 2 ans, avec le concours de l’USG/SYNTEC et de l’UMTM. Sur la quinzaine de sujets, une dizaine est terminée, deux ou trois en cours de finalisation et un ou deux moins avancés. J’ai espoir que la norme actualisée, qui modernise les missions géotechniques, - un enjeu majeur pour la profession -, entre en vigueur dès 2023.
Quelles sont les autres actions portées par votre syndicat ?
Nous poursuivons nos démarches dans le domaine de la sécurité. Concernant les machines de forage de petit diamètre, la norme EN 16 228 révisée a été publiée en décembre dernier. Elle est accompagnée d’un guide publié par l’INRS précisant les bonnes pratiques sur ces matériels. Le Soffons a mis en place une charte de bonne utilisation sur les chantiers de micropieux, d’injection, … signée par l’ensemble de ses membres, et qui porte sur le respect de cette norme actualisée. Pour les matériels utilisés pour le forage de pieux, de parois moulées, nous concentrons nos efforts sur la sécurité des plateformes de travail. Il est essentiel que ces matériels évoluent sur des plateformes stabilisées afin qu’ils ne se renversent pas. Il existe un guide, paru en 2009, mais depuis, les matériels ont évolué. Ils sont de plus en plus lourds et requièrent donc une plateforme de portance élevée, notamment en recourant à des bétons fibrés.
Que proposez-vous ?
Il faut également prendre en compte la conception et la réalisation de l’ouvrage selon que c’est l’entreprise de fondations ou une entreprise générale qui la construit. Il faut donc convaincre les maîtres d’ouvrage de l’importance de préciser les critères attendus pour la plateforme. Cela conditionne la sécurité des opérateurs des matériels, mais aussi de tous les compagnons à proximité et au-delà, des riverains. Le Soffons préconise de mettre en place un procès-verbal de réception de la plateforme. Je souhaite que nous avancions sur ce sujet d’ici à la fin de mon mandat. Pour y parvenir, il faut absolument que nous arrivions à dialoguer avec les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre, sans oublier les préventeurs. Malheureusement, ces derniers ne disposent pas de fédération professionnelle mais sont organisés en syndicats de métiers. L’idée est donc de sensibiliser tous les acteurs du chantier à ces enjeux, y compris les entreprises générales.
Vous présidez également l’UMTM. Quelles sont les synergies développées avec le Soffons ?
Si des travaux, comme la norme NPF 94 500, sont portés par les fondations spéciales pour le compte des 4 syndicats de l’UMTM, d’autres sujets sont des enjeux partagés : la transition énergétique, la transformation digitale, la question environnementale. Ils sont portés par l’UMTM. C’est ainsi que nous avons finalisé la feuille de route sur la transition écologique fin 2021, validée par les conseils d’administration des quatre syndicats constituant l’UMTM. C’est également l’UMTM qui porte le sujet de la pyrite, au sein du syndicat des terrassiers de France. C’est une préoccupation majeure au regard des seuils fixés par le BRGM et des coûts de traitement induits.
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