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Dans le groupe Roger Martin, la transition écologique c'est du concret ! Après s'être lancé dans la production de bois énergie, être passé au carburant végétal et avoir déployé les bornes de recharge dans les 55 implantations du groupe, Vincent Martin se lance dans la production d'hydrogène. Un projet qui devrait se concrétiser dès 2025. Explications.

Comment évolue le coût de l’énergie du groupe ?

Nos activités sont par nature énergivores. Avec notre outil industriel, nous consommons également des quantités significatives de gaz et d’électricité. Le parc d’engins de chantier, qui compte quelque 300 matériels de production, est consommateur de GNR. Avec 300 PL, la flotte de véhicules industriels impacte également. La facture carburant du groupe est passée de 12 à 14 millions d’euros au cours des quatre derniers mois. Ce montant, qui était de 11 millions en 2021, est à rapprocher du chiffre d’affaires consolidé du groupe, qui dépasse les 360 millions d’euros. La part « énergétique » évolue donc de manière très conséquente et le reste à charge considérable. Dans le contexte qui prévaut, il faut avoir les reins solides pour pouvoir absorber de telles hausses tarifaires.

Ce contexte a-t-il une influence sur vos investissements Matériel ?

L’enveloppe globale qui s’élève en moyenne annuelle, à 16 millions d’euros, est maintenue. J’ai toujours veillé, indépendamment de la conjoncture, à disposer d’un niveau d’investissement important afin d’assurer le renouvellement du parc roulant et de l’outil de production du groupe et de disposer des moyens de financer notre développement. En outre, nous ne souhaitons pas allonger, au-delà du raisonnable, la durée de vie de nos matériels. Je suis convaincu que cela participe à l’attractivité de notre société et du bien-être de nos opérateurs et de leur fidélisation. Ils sont toujours fiers et intéressés à avoir des matériels à la pointe de la technologie, en particulier dans le domaine de la transition énergétique. Cela facilite les recrutements. Aussi, et dépit des difficultés actuelles, nous conservons ce niveau d’investissement relativement élevé pour maintenir un âge moyen de 6 ans pour les véhicules industriels et de 7 ans pour les matériels chantier. Les délais actuels varient de 14 à 16 mois pour se procurer un porteur neuf. C’est considérable et cela nous oblige à allonger la durée de vie de notre parc.

Quelles mesures compensatrices ont été prises ?

Dès 2020, nous avons mis en œuvre différentes actions destinées à réduire notre consommation énergétique et à alléger l’empreinte carbone du groupe. Une partie de la flotte de véhicules industriels roulant au gasoil a été remplacée. À présent, une cinquantaine de PL fonctionne à l’Oleo 100. Cette conversion se traduit par une réduction de quelque 60% des émissions globales de CO2 et jusqu’à 80% des émissions de particules fines. Dans le domaine des engins de chantier, nous disposons de différents dispositifs non intrusifs dont les premiers retours attestent d’une diminution pouvant atteindre 8%. En procédant au « nettoyage » moyennant l’injection d’hydrogène sous pression des moteurs du parc roulant nous gagnons en durée de vie du matériel tout en en réduisant les émissions de CO2 de près de 10%. Ces différentes initiatives s’accompagnent d’une démarche globale de remontée et de traitement de données d’exploitation.

Quels sont les résultats obtenus ?

Connaître précisément l’impact énergétique de chaque machine nous permet d’affiner le poste dépense et les axes d’économie associée. Nous étudions cela au plus près de la machine. Cela nous guide dans la prise de décision de renouvellement de notre parc. Nous avons désormais la possibilité d’agir « instantanément » sur les opérateurs et l’amener, si besoin, vers l’écoconduite. À la clé, une diminution de la consommation de chaque matériel et donc un abaissement de l’empreinte carbone de nos activités, qui est la finalité de la démarche. D’une manière générale, nous avons pour objectif de réduire la consommation de 10% par an. Pour être efficace, cette démarche doit nécessairement s’accompagner d’une sensibilisation de l’ensemble de notre personnel. Au cours des derniers mois, nous avons pu observer une prise de conscience de nos collaborateurs en général et de nos chauffeurs et opérateurs de matériel en particulier sur cette question de consommation de carburant. Nous avons donc privilégié une approche participative afin d’impliquer chacun dans cette politique, tant leur engagement est déterminant dans la réussite du dispositif mis en place.

L’offre actuelle est-elle en adéquation avec vos attentes ?

La principale inquiétude à l’heure actuelle, est celle des délais. Quand il faut attendre 18 mois pour être livré, il faut anticiper et prendre des options sans savoir ce que sera notre activité quand la machine arrivera dans notre parc. Nous ne sommes certains de rien du tout et nous n’avons aucune visibilité. À l’heure actuelle, nous nous projetons déjà dans nos investissements pour l’année 2024, voire 2025 pour les matériels plus spécifiques. La gestion de nos exploitations s’en trouve complexifiée. Mais nous sommes surtout inquiets quant à l’adaptation des matériels aux enjeux environnementaux.

Qu’entendez-vous par là ?

À date, nous sommes dans l’impossibilité de savoir comment renouveler notre parc au regard des enjeux environnementaux. Nous avons compris que l’on tend vers un mix énergétique qui sera, par définition, composé d’un bouquet d’énergies différentes, avec à court terme, le recours à des biodiesels et des carburants de synthèse mais aussi des motorisations électriques. À plus long terme, l’hydrogène aura sa place, j’en suis convaincu. Les motorisations ont évolué, c’est vrai, mais j’attends une offre pour de l’hybridation thermique, électrique ou hydrogène. Je ne crois pas en l’électrification totale des matériels de production. Il y a donc une transition à amorcer dès aujourd’hui, compte tenu de notre fréquence de remplacement des matériels. Or, aucune alternative n’est commercialisée. De même, aucun fournisseur n’est en mesure de nous donner une vision à long terme et sur ce qui sera mis sur le marché dans les prochaines années, et sans parler des surcoûts de ces investissements.

Comment évolue la prise d’affaires ?

Nous sommes quelque peu en décalage avec la profession. C’est une tradition chez Roger Martin. Cela fait notre force. Nous faisons ainsi partie des derniers terrassiers indépendants en France et veillons à conserver nos échelons complets de scrappers et bouteurs D10 opérationnels pour les grands travaux. Nous disposons, suivant les métiers, entre 7 à 9 mois d’activité. Les six prochains mois sont relativement chargés mais nous avons beaucoup d’interrogations sur l’évolution de la commande publique. Nous sommes toujours tributaires des communes, communautés de communes et autres départements.

Quelle est la situation des collectivités locales sur votre géographie ?

Je suis un fervent défenseur des collectivités locales. Ce sont elles qui investissent sur nos territoires et participent à la création de valeur ajoutée. Un territoire attractif, économiquement viable, est un territoire qui maintient une bonne dynamique d’investissement dans ses infrastructures. Cela n’est possible qu’avec les TP. Certes, elles subissent aussi de plein fouet les surcoûts liés à l’inflation. Il faut donc que l’État vienne en soutien afin qu’elles conservent leur capacité à investir. Ce n’est pas avec le montant des dotations, qui ne couvre ni l’inflation, ni le surcoût travaux, qu’elles pourront le faire. Le financement des collectivités locales est dans une phase sensible. Il faut trouver rapidement des solutions financières pour les aider. La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises en est un. Je ne remets pas en cause ce dispositif. Mais il faut trouver d’autres moyens de financement dans le contexte inflationniste que nous traversons.

Qu’en est-il de la répercussion de ces hausses sur le prix de vos travaux ?

L’ensemble de nos coûts sont orientés à la hausse de manière sensible. Il est impossible de répercuter intégralement le reste à charge des différentes augmentations que nous supportons. C’est donc la marge qui est impactée par un surcoût de l’ordre de 5 millions d’euros pour l’année 2022. Le résultat d’exploitation, autour de 16 millions d’euros, se tient. Le résultat net et la trésorerie s’en ressentiront. Malgré cela, nous avons maintenu l’emploi de nos 2000 collaborateurs (y compris intérimaires) ainsi que les effectifs en formation et avons 150 postes ouverts à ce jour, sur tous les profils !

Vous vous lancez dans la production d’électricité à partir 2024. La production d’énergie sera-t-elle le 17e métier de Roger Martin ?

C’est un projet transformant à l’échelle du groupe, dont l’objectif est d’être un acteur majeur dans la production d’énergie mais aussi la livraison d’hydrogène. L’acquisition de l’entreprise Moulin à Monistrol-sur-Loire, en 2020 s’inscrit dans cette stratégie. Ce rachat a permis de nous doter d’une plateforme de production de plaquettes bois. Cette même infrastructure nous permettra, moyennant un investissement de l’ordre de 30 millions d’euros, de nous doter d’un outil de production d’électricité, de chaleur et d’hydrogène à partir de biomasse. À partir de cette co-génération d’énergie et moyennant un système d’électrolyse, nous serons en mesure de produire de l’hydrogène vert et ainsi alimenter notre parc de matériel avec une énergie « verte » au plus tard en 2025. Parallèlement, nous développerons dans nos agences, des microstations pour alimenter notre flotte de PL et, plus tard, nos matériels de chantier. Nos capacités de production et de stockage nous autoriseront à proposer cette solution aux acteurs économiques locaux. En outre, nous fournirons suffisamment de chaleur au réseau urbain de la communauté de communes de Monistrol-sur-Loire.