En quoi la crise actuelle est-elle différente de celle de 2009, dont la profession a mis près de 10 ans à se remettre ?
Contrairement à 2009 cette crise à une origine totalement exogène au monde économique. Elle devrait avoir des conséquences directes moins importante pour notre secteur et cela pour deux raisons. La première, parce qu’elle est la conséquence de décisions politiques temporaires en réponse à une crise sanitaire avec des mesures de confinement. Dès que ces dernières sont partiellement ou totalement levées, l’activité repart. Les taux d’utilisation des parcs des loueurs comme les taux d’activité dans le secteur de la construction en sont un bon reflet. Après avoir chuté très vite jusqu’à début avril, ils remontent rapidement depuis, même s’ils n’ont pas encore renoué avec les niveaux d’avant crise. Nous sommes donc confrontés à une crise très violente mais assez limitée dans le temps. La seconde, parce qu’à ce stade, il n’y a pas de crise financière. Les États et les banques ont mis à disposition des acteurs économiques des ressources permettant, à un client qui souhaite investir dans un matériel, de l’acheter. Il n’y a pas de problème de financement comme en 2009, le crédit interentreprises fonctionne bien. Pour ces deux raisons, la crise devrait être moins intense. Encore faut-il que l’activité retrouve rapidement son niveau d’avant confinement.

Un rebond dès 2021 est-il envisageable ?
Si, en septembre, l’activité a retrouvé un bon niveau, c’est-à-dire proche de celui d’avant crise, il est probable que l’économie rebondisse en 2021. Ce n’est pas tant ce qui s’est passé au cours des trois derniers mois que ce qui va se passer au cours des trois prochains mois, qui sera déterminant pour la durée et l’ampleur de la crise. Les données publiées par les autorités de santé montrent un déclin sensible et plus rapide qu’attendu de l’épidémie due au Covid19 et les mesures limitant l’activité économique sont progressivement levées, il faut maintenant que les acteurs économiques retrouvent confiance, que les plans de relance soient bien calibrés et bien accueillis pour que l’activité reparte.

« Il faut maintenant que les acteurs économiques retrouvent confiance. »

Qu’est-ce qui conditionne l’intensité de la reprise ?
Dans les métiers de la construction, c’est la capacité et la volonté des acteurs privés à investir, c’est le dimensionnement du plan de relance, notamment sur le soutien à la transition énergétique et à l’isolation thermique des bâtiments. Ce sont aussi les investissements des collectivités locales, avec des interrogations qui subsistent : L’état va-t-il compenser leur perte de ressources qui ont été affectées par la crise et à quel niveau ? Quel impact ces décisions auront sur leur politique d’investissement ?.

Les mesures prises par le gouvernement vont-elles dans le bon sens ?
Elles vont dans le bon sens, mais c’est ce qui va être décidé dans les prochaines semaines qui importe. A ce jour, beaucoup a été fait par l’État pour éviter une catastrophe économique à court terme avec la gestion de cette période de confinement. Il faut maintenant faire repartir l’économie en réussissant la phase de relance et voir comment les acteurs économiques publics et privés vont se comporter. A ce titre, le comportement de nos clients loueurs sera un bon indicateur à suivre.

Comment avez-vous préparé Haulotte à la fin du cycle de croissance qui a porté la location ces dernières années ?
Nous sommes les premiers conscients que notre activité est cyclique et que le marché avait atteint un point haut en 2019. Avant même la COVID-19, nous avions donc anticipé une légère baisse de notre chiffre d’affaires et de nos cadences de production. Nous nous étions préparés pour accompagner un tassement du marché proche de -10%. Il va hélas baisser un peu plus.

D’autant que votre activité est non seulement cyclique mais aussi saisonnière et que les livraisons s’étalent au cours des deux premiers trimestres.  Avez-vous révisé vos prévisions ?
A ce stade, il est encore trop tôt pour le faire. Nous nous sommes donnés jusqu’à la fin du mois de juin pour cela et mieux apprécier l’ampleur du rebond du marché. A priori, nos prévisions seront remises à jour entre juillet et septembre, suivant la visibilité dont nous disposerons. Pour le moment, nous enregistrons principalement des reports de livraisons et peu d’annulation de commandes. Ce qui est acquis, c’est que nous ferons moins bien que les prévisions initiales. Nous avons bâti plusieurs scenarii de baisse d’activité entre -15% et -40%, à partir de différentes hypothèses de recul du marché pour l’année 2020. A l’automne, nous déroulerons l’exercice de prévision budgétaire pour 2021 autour de deux grandes hypothèses : soit nous avons perdu un trimestre d’activité et la contraction est effacée l’année prochaine, le marché ayant retrouvé son dynamisme renoue avec son niveau d’avant crise, soit, malgré la politique de relance, l’attentisme des acteurs et le ralentissement des marchés ancrent le marché à un niveau significativement inférieur à ce qu’il était avant la crise sanitaire.

« Nous enregistrons principalement des reports de livraisons et peu d’annulation de commandes. »

Quand pensez-vous retrouver des conditions normales de marché ?
Le groupe a une dimension mondiale. Les effets de la crise se sont fait sentir dès janvier en Asie, en mars en Europe et à partir d’avril en Amérique du nord comme du Sud. Nous embarquons une trainée de difficultés sur le semestre. Tous les outils de soutien ont aidé à absorber les effets de la crise, mais nous restons dans un métier où, plus on produit, mieux on se porte et réciproquement. Cette règle est assez intangible dans l’industrie. Dans le cas de la Chine, nous avons observé les premiers signes d’une reprise des ventes et de la production deux mois après la fin du confinement. En extrapolant, nos sites de production garderont certainement une activité réduite jusqu’en juillet voir au-delà, mais je suis confiant dans la capacité du groupe à sortir, par sa réactivité, sa connaissance des cycles et sa capacité à gérer ces aléas, renforcé de cette période.

L’Europe dispose-t-elle de la même capacité de rebond que le marché chinois ?
Tout dépend de l’ampleur des plans de relance et de la pertinence des décisions qui restent à prendre. Si j’en crois la volonté politique telle qu’elle est exprimée, en particulier au niveau européen, la détermination à soutenir l’économie est manifeste. Il faut en accepter l’augure même si par sa construction, l’Europe est souvent moins rapide que la Chine ou les États-Unis pour prendre des décisions.

La stratégie du groupe s’en trouve-t-elle changée ?
Nous n’avons aucune raison de changer de notre feuille de route. Certes, le marché ralentit, mais il va repartir. Tant que nous en avons les moyens, la stratégie long terme sur la couverture mondiale du groupe, la conversion électrique de notre offre produits et la politique de R&D et d’innovation, continuent d’être déclinées. A la marge, nous avons mis en œuvre le télétravail, recourons au chômage partiel dans certaines usines et prenons les mesures d’économies qu’il faut savoir prendre dans de telles périodes. Nous sommes dans un métier cyclique, dans lequel les crises interviennent périodiquement. Quoique de facteur exogène, celle-là n’échappe pas aux règles habituelles.

« Nous sommes dans un métier cyclique, dans lequel les crises interviennent périodiquement. »

Une relocalisation de la production est-elle envisageable ?
Nous n’avons aucune raison de remettre en cause notre stratégie industrielle, qui repose sur des bassins de fournisseurs implantés à des distances raisonnables de nos usines. La stratégie de régionalisation telle que nous l’avons conçue chez Haulotte, est une réponse aux défis logistiques et économiques, voire de souveraineté du monde qui se dessine.

La diversification de l’offre est-elle une réponse à la situation actuelle ?
La numérisation et la télématique au sens de l’amélioration de la gestion et de l’aide à l’exploitation de nos gammes pour nos clients loueurs sont déjà une révolution profonde, qui demande beaucoup de moyens, d’intelligence et d’innovation, ainsi que beaucoup d’adaptation du produit. Les révolutions technologiques que traversent nos métiers, qu’il s’agisse des enjeux environnementaux, énergétiques, numériques et sécuritaires sont plus prégnants que jamais. Nous y consacrons toutes nos ressources.

Ces axes de progrès sont-ils une façon d’apporter de la valeur ajoutée dans la nacelle ?
Cette question est au cœur de notre stratégie de montée en gamme. Il ne s’agit pas de monter en gamme pour monter en gamme, mais bien pour répondre à un certain nombre de besoins de nos clients et leur montrer notre capacité d’apporter une réponse à leurs enjeux sans aller vers le toujours plus simple et le toujours moins cher. La gestion à distance, la maintenance prédictive, la télématique, peuvent modifier de façon assez profonde la façon d’opérer une nacelle en location et donc, de recréer de la valeur pour le client. La connaissance fine de l’état, de la localisation et du statut de fonctionnement de la nacelle, peut changer les processus opérationnels chez les loueurs. En outre, les indicateurs sur les taux d’utilisation instantanée sont également des paramètres forts d’analyse de la performance par territoire. Nous travaillons tous les jours pour offrir à nos clients des outils permettant d’améliorer leur performance opérationnelle et donc économique.

« Offrir à nos clients des outils permettant d’améliorer leur performance opérationnelle et donc économique. »

N’est-ce pas synonyme de volumes de vente moindres ?
En instantané, c’est peut-être vrai. Mais c’est aussi source de plus de rentabilité, plus de ressource, plus de capacité à acheter des services et donc, in fine, à monter en gamme. Les effets positifs sont supérieurs. Je me suis toujours refusé à avoir une vision malthusienne du métier, et reste convaincu que tout ce que l’on peut faire pour améliorer qualité, performance et durée de vie de nos machines, c’est bon pour notre développement. Ce que nous sommes capables de faire de mieux dans la durée, c’est plus de business, avec des clients à qui nous offrons la possibilité de mieux utiliser leur parc. Nous nous inscrivons donc dans le temps long. Quand on est reconnu par un grand acteur de la location en Europe comme étant le meilleur fournisseur, on peut être fier du travail de nos équipes. C’est tout le résultat du travail d’écoute, de la proximité et d’innovation que nous avons développé ces dernières années.

Comment appréhendez-vous la concentration du secteur client ?
Ce mouvement est à l’œuvre partout dans le monde. Il est déjà avancé outre-Atlantique. Il est en train d’opérer en Chine avec l’émergence d’acteurs qui se veulent une référence sur le marché. L’Europe n’échappera pas à la règle. Il est illusoire de penser que l’on pourrait lutter contre ce phénomène qui ne fait que renforcer la nécessité d’être bien positionné avec les bons matériels, les bons services et la bonne relation client, c’est-à-dire avec ce qui conditionne la création de valeur pour nous comme pour nos clients.

Le renouvellement des gammes va-t-il toujours s’accélérer ?
C’est à la fois à l’origine et la conséquence de toutes les transformations qui sont à l’œuvre et dont nous avons parlé. Une fois achevées, ces transformations sont amorties sur les autres gammes, donc plus rapidement mises sur le marché et plus accessibles en matière de prix. Incontestablement, le succès de nos nouveaux modèles augmente la pression pour finir le renouvellement complet de notre gamme, qui reste programmé pour 2022/2023. La révolution numérique et la transition énergétique ont été de puissants stimulants. J’espère juste qu’il ne faudra pas le refaire tous les dix ans (sourires).

« La révolution numérique et la transition énergétique ont été de puissants stimulants. »

Quelle sera la prochaine étape ?La révolution numérique et la transition énergétique ont été de puissants stimulants.
Ce sera l’avènement des machines intelligentes et neutres en carbone. Haulotte a été le premier à engager la conversion de l’intégralité de sa gamme à l’électricité. Notre démarche volontaire et progressive permet, pour chaque nouveau modèle, de capitaliser l’expérience d’avant, dans le cadre de notre politique d’amélioration permanente. La transformation du parc existant prendra du temps.

Pensez-vous que les loueurs, qui constituent la grande majorité de vos clients, vont encore gagner des parts de marché ?
Dans le domaine de l’élévation de personne, la marge est mince, puisque le taux de pénétration de la nacelles chez les loueurs approche 90%. C’est possible pour d’autres gammes de matériels.

Le comportement de vos clients a-t-il évolué ?
Plus que la crise, le véritable enjeu est de savoir à quel point la période actuelle va ralentir la tendance de fond qui est à l’excellence opérationnelle, sous l’impulsion des nouvelles technologies. Il est vraisemblable que dans le cas d’une crise intense mais très courte, nos clients se remettent sur leur trajectoire initiale pour laquelle notre positionnement est pertinent. Si la crise venait à durer et qu’elle entraîne une déprime de l’économie européenne, il est certain que ce sera un frein à cette évolution.

L’industrie française est-il elle suffisamment compétitive ?
Cette crise a d’abord mis en évidence notre dépendance supérieure à d’autres grands pays européens sur un certain nombre de chaîne de valeur stratégique. C’est le reflet d’une industrie trop faible et d’une délocalisation d’activités stratégiques. Rien de nouveau en réalité, la France ayant un problème de compétitivité. Aujourd’hui, pour être souverain, il faut être compétitif. C’est un choix décisif pour réussir dans une économie mondialisée. Certains peuvent le regretter ou vouloir imaginer un monde différent. Je fais partie de ceux qui pensent que la mondialisation a apporté beaucoup de chose au monde et à notre pays, qu’elle peut et doit évoluer pour mieux tenir compte des enjeux de long terme. Le sujet n’est pas de changer de monde, mais de faire en permanence les bons choix pour tirer le meilleur parti des règles du jeu économique. Nous en sommes capables en France. Haulotte le démontre tous les jours.

Quels sont les leviers à actionner pour améliorer la compétitivité ?
A très court terme, ils sont liés à la crise sanitaire qui a amené les industriels à mettre, comme ils le font toujours, la priorité sur la santé de leurs salariés. Cela a conduit à se rajouter des contraintes pour respecter les règles de sécurité sanitaire, avec la mise en œuvre des gestes barrières et de la distanciation physique. La façon de travailler s’en trouve changée. Cela éloigne généralement les entreprises d’un optimum d’efficacité. Sans attendre que le virus soit moins présent et que l’on retrouve des conditions de travail normales, il faut ouvrir le chantier de la compétitivité de notre économie avec le poids des charges sociales et des impôts de production. Ces sujets sont évoqués depuis des années en France. La situation actuelle commande de les traiter maintenant. C’est d’autant plus nécessaire qu’il faudra accompagner les entreprises et les aider à absorber le coût du confinement et de ses conséquences. Si l’on considère que le coût de la crise est de l’ordre de 200 Mds d’euros, que l’Etat en prend les deux tiers à son compte, il reste plus de 50 Mds d’euros à la charge des entreprises. Cela va peser sur l’investissement et sur la capacité d’autofinancement, mais aussi sur la consommation des salariés, si l’activité partielle dure et que le chômage augmente. En outre, les entreprises devront rembourser un jour les Prêts Garantis par l’Etat accordés durant la crise.

« Il faut ouvrir le chantier de la compétitivité de notre économie avec le poids des charges sociales et des impôts de production. »

Un grand plan de relance dans la filière de la construction est-il opportun ?
Après la crise de 2009, la France a conduit entre 2011 et 2013 une politique budgétaire stricte avec une forte augmentation des impôts sur les entreprises et les ménages. Les conséquences de ce traitement se sont rapidement fait sentir, avec une croissance en berne et un chômage en hausse constante. Dans le contexte actuel, il est évident que l’on ne résoudra aucun des problèmes de notre pays augmentant les impôts. L’une des raisons du ralentissement de l’activité dans la filière de la Construction est aussi liée au report du second tour des élections municipales qui a mis de nombreuses collectivités locales en apesanteur. Une fois le second tour passé, l’enjeu est de mettre les donneurs d’ordre en situation de relancer les travaux en dépensant dans les trois prochains mois, les budgets qui n’ont pas été consommés au cours de trois derniers mois. Le confinement a certes, ralenti la capacité de réalisation, mais il n’a pas effacé immédiatement leur capacité d’investissement. Les principaux effets de la crise sur les finances des collectivités locales se feront sentir en 2021. Pour le secteur du BTP, il faut identifier les activités durablement affectées au-delà la période de confinement et trouver les actions à mettre en œuvre pour les aider à se remettre à niveau le plus rapidement possible.

Propos recueillis par Jean-Noël Onfield.

">