Le reconditionnement occupe une place croissante dans l'industrie des tunneliers. Les fabricants se sont donné les moyens d'offrir une seconde vie à leurs produits à condition que les clients suivent.

 Tunneliers : la roue du réemploi

À mesure que les préoccupations environnementales gagnent du terrain, la question du reconditionnement des engins de construction se fait plus insistante. Bien que cette démarche soit aujourd’hui réservé à quelques machines onéreuses, nul doute qu’elle sera étudiée de plus près dans les prochaines années. En la matière, les constructeurs de tunnelier ont quelques décennies d’avance. La remise à neuf de machines et la récupération de composants sont des pratiques anciennes dans ce secteur. Les principaux industriels voient d’ailleurs leurs collectes de pièces augmentées depuis une quinzaine années. Les grands projets d’infrastructure sont désormais confiés à des groupements d’entreprises. Ces dernières souhaitent se débarrasser de leur acquisition commune une fois le chantier terminé.

Début de standardisation

Cette dynamique ainsi que l’arrivée de nouveaux fabricants a poussé l’ITAtech, un comité technique de l’Association internationale des tunnels et des espaces souterrains (Aites), a rédigé en 2015 un premier guide de recommandations sur le sujet. La dernière édition est parue en 2019. Ce document distingue deux classes d’intervention (voir p. 25) : la rénovation et le reconditionnement. La rénovation consiste en une maintenance complète sans modification des caractéristiques. Les systèmes hydrauliques, électriques, pneumatiques ou de traitement du sol défectueux ou usés sont remplacés. Cette approche concerne en général les petits tunneliers qui creusent des galeries d’une centaine de mètres. Peu éprouvés, ils peuvent partir rapidement vers d’autres cieux. Leurs diamètres courants facilitent leur réemploi. Le reconditionnement vise à offrir à la machine un nouveau cycle de vie complet, avec parfois un changement de sa configuration. Les différents organes sont démontés, nettoyés et testés. Les tunneliers qui participent à la construction d’infrastructures de transport avec leurs diamètres spécifiques entrent dans cette catégorie. Que ce soit une rénovation ou un reconditionnement, certains éléments doivent faire l’objet d’un contrôle minutieux : le bouclier, la tête de coupe ou la couronne d’entraînement.

Les préconisations de l’Aites reflètent les organisations déjà en place chez les constructeurs européens et nord-américains. Herrenknecht possède par exemple à Kehl en Allemagne un site de 100 000 m² consacré à cette activité, où le groupe stocke ses produits remis à neuf : pompes, convoyeur, engrenages… Quelque 10 000 composants sont remanufacturés tous les ans dans ces locaux. L’industriel affirme que ses engins sont conçus pour durer 10 000 heures, un temps supérieure à bien des projets. De nombreux dispositifs peuvent continuer leur existence au-delà de la première opération. Le constructeur offre une garantie complète pour ses produits remanufacturés. Ses représentants avancent le même l’argument qu’une pièce avec plusieurs kilomètres au compteur à plus que démontrer sa fiabilité, alors même que son équivalent neuf peut présenter un défaut. Par ailleurs, les tunneliers actuels incorporent un grand nombre de capteurs. Ils s’avèrent de précieux alliés pour les constructeurs quand il s’agit de trier. Les fonctionnements des accessoires importants peuvent être enregistrés en temps réel. Au-delà du temps d’utilisation, il est possible de connaître les charges de travail. Un composant qui aura subi une surcharge méritera sans doute plus d’attention qu’un autre qui n’aura pas dépassé un seuil critique. Herrenknecht gardent pour chacune de ses références en magasin l'historique de ses projets passés.

Conçu pour changer

Néanmoins, comme le souligne le fabricant américain Robbins dans ses tribunes, si tous les tunneliers peuvent être rénovés, tous ne peuvent pas être reconditionnés. Cette possibilité doit être anticipée lors de conception du matériel. Une réduction de diamètre ne doit pas entraver les mouvements des organes, quand une augmentation nécessitera une plus grande puissance et une structure plus résistante. La force maximale de propulsion sera toujours limitée par la résistance des vérins. La vitesse de rotation de la tête de coupe par la capacité de la couronne d’entraînement et des systèmes d’évacuation des déblais. L’ensemble de ces interactions conditionnent le potentiel de réemploi de la machine. Les ingénieurs de Robbins rappellent également l’importance de la maintenance durant les travaux. Sans un entretien adapté, il ne restera plus rien à récupérer une fois le dernier voussoir posé. Le fabricant conseille d’établir un plan de maintenance en fonction de la nature des sols traversés et de la longueur de la galerie. Il reste toutefois à convaincre les exploitants du caractère essentiel de ces tâches. Peut-être en jouant sur les prix de rachat.

Le problème soulevé par l’entretien peut d’ailleurs s’étendre à tout le système du reconditionnement. Les clients trouvent-ils un intérêt au réemploi ? Les manufacturiers ne gaspillent-ils pas leur énergie en maintenant cette activité en parallèle du neuf ? Les acheteurs peuvent être attirés la réduction des coûts. Cependant, cette dernière se révèle très variable. Robbins estime qu’employer un tunnelier remis à neuf plutôt qu’un tout neuf peut générer entre 20 et 75 % d’économie. Plus la machine est grande et complexe, plus le pourcentage diminue. Si en outre quelques aménagements de sécurité doivent être ajoutés ou un organe crucial à changé, la marge chutent. Un autre avantage en faveur de la seconde vie, c’est que les délais de fabrication sont réduits. Une partie des pièces est déjà disponible. Mais le plus gros bénéfice demeure impalpable pour les entreprises de construction. Herrenknecht évalue que la production d’un tunnelier entièrement remanufacturé consomme 80 % moins d’énergie et 99 % moins de matériaux que la création d’un nouvel engin. Pour l’heure, ce critère n’influence que le bilan environnemental du chantier. Cependant, au vu des directions prises par les pouvoirs publics en Europe,recourir à des matériels reconditionnés pourraient devenir obligatoire dans quelques années. Une telle doctrine pourrait constituer une opportunité pour les constructeurs occidentaux qui maîtrisent déjà ces techniques.

 Suivez le guide !

Pour mieux comprendre le monde des tunneliers remis à neuf, les acheteurs peuvent se référer au document de l’ITAtech. Résumé en quatre points de ses recommandations.

Deux niveaux

Le guide définit deux catégories de remise à neuf : la rénovation et le reconditionnement. La rénovation s’apparente à une maintenance complète sans changement des fonctions de la machine. Le reconditionnement vise à donner une seconde vie au tunnelier. Ses caractéristiques peuvent être modifiées en vue de remplir de nouvelles missions.

Inspecter ou démonter  

Le document décrit les actions à mener pour les composants hydrauliques, électriques, pneumatiques et les outils de traitement des sols. Dans le cadre d’une rénovation, un contrôle du bon fonctionnement suffit. En revanche, un reconditionnement nécessite un démontage et un nettoyage des pièces. Certains éléments devront passer par un banc d’essai. 

Organes vitaux

Quelle que soit la catégorie de remise à neuf, les systèmes essentiels de l’engin devront faire l’objet de tests spécifiques : le bouclier, le dispositif de soutènement pour les tunneliers de roche dure, la couronne d’entraînement et la roue de coupe.

À discuter

L’ITAtech rappelle que des réglementations locales peuvent encadrer les modifications de matériels (comme la directive machines en Europe). Une documentation détaillant le processus de remise de neuf et les tests des principaux composants devra être fournie à l’acheteur. Quant aux garanties, elles doivent être négociées entre les deux parties.

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