Entretien avec José Ramos, président de la Fédération régionale des travaux publics d’Ile-de-France (FRTP d’Ile-de-France).   Chantiers de France : Dans quel environnement économique évoluent vos adhérents ? José Ramos : Nous pouvons nous satisfaire d’une reprise d’activité globale et d’une manière plus spécifique sur certaines spécialités. La reprise est effective dans tous les métiers des TP, à l’exception des canalisateurs. Amorcée fin 2016, la croissance, qui s’est confirmée en 2017, tend à s’amplifier cette année. Seul bémol, l’évolution du niveau de prix des matières premières qui impactera le résultat de nos entreprises. L’augmentation des prix a été plus rapide que celle de nos carnets de commandes. CdF. : À quoi peut-on l’attribuer ? J. R. : Je pense qu’il y a une certaine opportunité de la part de nos fournisseurs, en particulier dans le domaine du BPE. La reprise étant avérée depuis le début de l’année, les prix s’envolent. C’est également le cas pour les produits pétroliers. CdF. : Quel a été l’impact des grèves SNCF ? J. R. : Comme chaque année à partir des mois de mai et juin, nous avons constaté que l’approvisionnement des centrales en Île-de-France devenait problématique. La situation a été d’autant plus sensible cette année que les approvisionnements ont été perturbés par les grèves de la SNCF. À l’échelle de la région, cela induit un retard de deux mois dans certains chantiers. Avec Routes de France, nous nous sommes mobilisés pour limiter l’impact du manque de ressources en donnant priorité aux travaux de proximité, nécessitant des quantités moindres. [caption id="attachment_3602991" align="alignnone" width="550"] Alors que l'activité redémarre, les entreprises de TP ont besoin de recruter 6 000 personnes, dont 1 000 cadres.[/caption] CdF. : Quelles seront les conséquences sur l’évolution de l’activité à fin 2018 ? J. R. : La prévision de 5,5 % a été ramenée à 3 % en tenant compte des indices de prix. À ce niveau, le taux de croissance correspond à celui de la masse salariale sur le premier semestre. Après avoir vu notre activité se contracter de près de 30 % depuis 2009, nous nous satisfaisons de cette progression, les perspectives à l’horizon 2020 restant bien orientées. Le volume de travaux est toujours inférieur à celui d’avant crise, les coûts liés à la main-d’œuvre, aux matériaux et aux matériels ayant significativement été révisés à la hausse. Nos adhérents doivent apprendre à évoluer dans leur comportement. Nos entreprises, qui évoluent sur un marché cyclique, ont toujours eu la crainte du lendemain. C’est pourquoi, même encore aujourd’hui, elles cherchent toujours à sécuriser leur carnet de commandes. C’est un réflexe naturel, chacun ayant des objectifs de chiffre d’affaires et de rentabilité.

Il faut restaurer la rentabilité de nos entreprises à la hauteur des risques pris.
Dans nos métiers où se projeter à trois ans semble impossible tant cela paraît loin, l’absence de certitude sur un calendrier incite à prendre des marchés à des niveaux de prix qui ne sont pas compatibles avec les conditions économiques de la profession. Je considère que les niveaux n’ont fait que baisser depuis 10 ans, quand les coûts augmentaient et que la rentabilité s’érodait. Il faut restaurer la rentabilité de nos entreprises à la hauteur des risques pris. Nous ne pouvons plus être systématiquement impactés par les dates butoirs que sont les élections ou les changements structurels de notre pays. CdF. : L’enjeu est-il de s’affranchir des cycles électoraux ? J. R. : Effectivement, en Île-de-France nous avons tout ce que l’on peut voir dans notre pays. Nous attendons toujours les arbitrages du président de la République sur les métropoles. Puis se posera la question des élections municipales à Paris. Enfin, l’évolution donnée aux départements. Nous le voyons bien, nous ne sommes pas dans une vision durable. Quand on se fixe des échéances, il faut les tenir. Quand nous embauchons de nouveaux collaborateurs en CDI, nous nous inscrivons dans la durée. Même chose quand on investit dans un matériel. Quand on veut conserver son personnel et ne pas céder du matériel, on finit toujours par réaliser des travaux à des prix qui ne sont pas raisonnables. Ce n’est pas le fonctionnement normal d’une entreprise. Il faut que les choses changent. CdF. : Que proposez-vous ? J. R. : Peu importe l’outil, l’important c’est d’être capable de programmer. Nos métiers sont des métiers de service à la communauté. L’infrastructure est un service de mobilité à la population. Plus on crée des contraintes à nos entreprises, plus le chantier va durer. Il faudrait avoir le courage politique de parfois fermer une route pour une durée limitée plutôt que de procéder par allotissement et allonger les délais. Nous appelons à ce que les donneurs d’ordres prennent leur responsabilité. CdF. : Le mauvais état des infrastructures de transport est avéré. Au-delà des audits et des rapports, que préconisez-vous pour gagner en efficacité ? J. R. : Pourquoi ne pas mettre en œuvre un droit d’usage dans le temps pour une infrastructure donnée ? Cela permettrait d’en optimiser les travaux d’entretien et de ne pas être dans l’obligation, comme on le constate de plus en plus souvent. De devoir dégrader le service rendu à nos concitoyens faute de maintenance adéquate en limitant le tonnage sur certains ouvrages d’art ou en fermant des routes à la circulation faute de pouvoir les remettre à niveau.
Il faut revenir aux campagnes d’entretien programmé et procéder à un état des lieux du patrimoine d’infrastructures de chaque gestionnaire de la région.
Je rappelle qu’une infrastructure non entretenue dure moins longtemps et coûte sensiblement plus cher à reconstruire. C’est pourquoi il faut revenir aux campagnes d’entretien programmé et procéder à un état des lieux du patrimoine d’infrastructures de chaque gestionnaire de la région. C’est comme cela que l’on maintiendra un niveau de service de nos infrastructures en adéquation avec les besoins de nos concitoyens. CdF. : À quoi attribuez-vous la stagnation qui prévaut chez les canalisateurs alors que les Assises de l’eau ont révélé l’ampleur du retard pris et l’urgence à renouveler le patrimoine existant ? J. R. : Les Assises ont eu le mérite de porter à la connaissance du grand public la situation que nous, professionnels, dénonçons depuis de longues années. Même si la situation n’est pas la même selon que l’on s’intéresse à Paris et à la petite couronne ou au-delà sur fond de réorganisation des compétences, le remplacement des canalisations existantes a pris au moins 10 années de retard. C’est préoccupant quand on sait que certaines ont plus de 70 ans d’ancienneté et que leur renouvellement aurait dû intervenir depuis longtemps. Au rythme actuel des travaux, il faudrait 140 pour restaurer l’intégralité du patrimoine de canalisation. CdF. : Quels sont vos principaux enjeux ? J. R. : L’emploi et la formation sont les deux principaux enjeux pour la profession en Ile-de-France. Il nous faut reformater les outils aux métiers de demain. L’enjeu actuel pour la profession réside dans le fait que l’outil de production soit en phase avec le niveau de l’activité. Au-delà de l’exécution des travaux qui nous sont confiés, il est important aujourd’hui de reformater nos outils aux besoins de demain. Cela signifie que nous devions former les gens, les faire monter en compétence et accueillir de nouveaux profils dans nos entreprises à même de créer les moyens de production du futur. Le départ à la retraite d’un certain nombre de collaborateurs doit être pris en compte. Cela est d’autant plus nécessaire que depuis 10 ans, notre principale préoccupation a été de tout faire pour absorber la crise.
 Il faut que l’on se donne les moyens de redevenir attractifs auprès des jeunes
Il faut renouer avec le type d’opération tel que « Les Ambassadeurs », initié en 2007 et qui a pour objectif d’attirer les jeunes dans nos métiers. Nous ne créerons pas instantanément les emplois dont nous avons besoin. Il faut que l’on se donne les moyens de redevenir attractifs auprès des jeunes mais aussi des moyens jeunes, et ce quel que soit leur niveau. Pour créer des emplois, nous avons besoin de confiance et d’avoir une vision à plus de deux ans. C’est le cas depuis peu. Il faut donc agir, d’autant que nous ne sommes pas les seuls à être confrontés à ce problème. Les maîtres d’ouvrage, les maîtres d’œuvre et les bureaux d’études partagent la même problématique. CdF. : Pouvez-vous préciser ces besoins ? J. R. : En phase de redémarrage, nos entreprises ont besoin de l’ordre de 6 000 personnes, dont 1 000 cadres. À ce niveau, cela représente une progression de 35 % sur une année. Ce n’est pas neutre, d’autant plus que les métiers des TP n’ont jamais bénéficié d’une image de marque valorisante ni été présentés comme des métiers d’avenir. Ces préjugés ont la vie dure. Or ce sont des métiers qui responsabilisent, qui permettent d’évoluer au sein des entreprises et de réaliser des chantiers prototypes. Ce sont des métiers de contacts au sein desquels le travail d’équipe permet d’exercer sa créativité. Ce sont des métiers de proximité qui contribuent à l’aménagement de l’espace public et du cadre de vie. Il est essentiel d’œuvrer à ce que ces métiers bénéficient d’une meilleure image de marque auprès des jeunes. La FRTP va prochainement lancer une opération de communication au moyen d’un bus connecté qui parcourra les collèges et les lycées de l’Île-de-France. CdF. : Que vous inspirent la réorganisation de la SGP et le nouveau calendrier du Grand Paris Express ? J. R. : Nous nous sommes adaptés au nouveau calendrier des appels d’offres et des marchés qui nous sont imposés dans le cadre du projet du Grand Paris. Sur le plan administratif, les derniers recours sur la DUP de la ligne 18 sont tombés, les travaux préparatoires vont donc pouvoir démarrer. Je rappellerai qu’au niveau national, 1,5 des quatre points de croissance des TP est à créditer aux travaux du Grand Paris. La feuille de route qui a été donnée au président du directoire de la SGP est quelque peu différente de celle de son prédécesseur. Le mode de fonctionnement est sensiblement différent sur le plan technique : le but est de faire aboutir le projet et que toutes les lignes programmées initialement soient achevées à l’aube de 2030. L’important est donc que les entreprises ne subissent pas de blocage pour pouvoir mener à bien le projet dans les délais impartis. CdF. : Le protocole de bonnes pratiques signé avec l’ancienne présidence de la SGP est-il toujours valable ? J. R. : Absolument, même s’il a vocation à évoluer. Il constitue une réelle avancée dans la relation entre un maître d’ouvrage et les entreprises. Il faut donc préserver cet acquis qui permet notamment de dérouler les plannings, considérant les contraintes et les échéances. De même, nous pouvons nous féliciter d’avoir accueilli au sein de certains mandataires des différents groupements des PME régionales, dès la remise des offres pour les uns, après la remise des marchés pour les autres. Le tissu économique d’Île-de-France est constitué de PME et de ETI aux côtés des grands groupes. Je rappelle que le projet est financé par les entreprises d’Île-de-France et différentes taxes successives. Les salariés de ces entreprises habitant eux-mêmes en Île-de-France, il me paraît logique d’avoir un certain retour. Au-delà de ces enjeux, c’est également le rayonnement d’une région capitale dont il est question. Propos recueillis par Jean-Noël Onfield